Michael Denton
Evolution
Une théorie en crise
(Edition originale, 1985 – Flammarion, 1988)
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Né en 1943, Michael Denton est biochimiste et généticien, de nationalité britannique et australienne.
Il est également l’auteur de L'évolution a-t-elle un sens ? (Fayard, 1997)
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« Si les biologistes étaient incapables de soutenir plus longtemps le bien-fondé de ce pilier de la pensée moderne qu’est le darwinisme, les retombées philosophiques seraient innombrables ». MD
Le rejet de la Genèse : L’origine des espèces de Darwin est le nom d’une rupture radicale dans la société, la culture et la vision du monde en Occident : la diversité du vivant terrestre ne relevait plus d’un don de Dieu, mais d’un processus graduel, purement aléatoire et naturel.
Quand Darwin entame en 1831 son voyage à bord du Beagle, naturalistes et biologistes ne concevaient alors nullement l’idée d’évolution organique. Au début du 19ème siècle, les grands spécialistes de l’anatomie comparée (tels Cuvier, ou plus tard Owen), décrivent le monde vivant comme fondamentalement discontinu, constitué de phylums et groupes d’organismes uniques en leur genre, non reliés entre eux par des organismes intermédiaires, dans des formes pour l’essentiel invariables.
Cette conception dite typologique de la fixité des espèces, était articulée à un système de pensée métaphysique, remontant à la philosophie de la nature d’Aristote, et qui fut pendant des siècles la doctrine officielle de l’Eglise.
Dans l’Angleterre de 1831, non seulement la science ne s’oppose pas à la théologie, mais l’étude de la nature confirme et révèle la sagesse de Dieu, la grandeur du dessein créateur.
La théologie naturelle, comme celle de William Paley, exerçait une immense attirance et, encore en 1857 (deux ans avant la publication de L’Origine), le biologiste américain Louis Agassiz écrivait : « l’histoire naturelle doit, avec le temps, devenir l’analyse des pensées du Créateur de l’univers, telles qu’elles se manifestent dans les règnes animal et végétal ainsi que dans le monde inorganique ».
Si les scientifiques étaient imprégnés de la cosmogonie biblique de la Genèse et convaincus de son interprétation historique, pourtant de nombreuses observations, notamment en géologie, semaient le doute quant à la plausibilité d’une création récente de la Terre.
Mais seule une minorité de scientifiques remettait en cause l’interprétation littérale de la Bible, et envisageait l’idée d’une transmutation des espèces (Buffon dès le milieu du 18ème, plus tard Lamarck).
Dans ses années de formation, et encore au début de son fameux voyage, Darwin « était un fondamentaliste qui citait constamment la Bible ; il croyait en la création particulière de chaque espèce et au fixisme ».
Mais très vite, ses observations géologiques pleines d’étonnement, ajoutées à la forte influence qu’exerça sur lui les Principes de géologie de Lyell, commençaient à semer le doute en son esprit quant à l’historicité du récit de la Genèse et à l’échelle des temps de six mille ans. Les phénomènes géologiques ne pouvaient s’inscrire que progressivement, sur de très longues périodes.
De même, ce qu’il observait de la variété géographique des espèces (qui bien que voisines, se différenciaient, parfois radicalement, selon leurs aires géographiques), défiait la doctrine fixiste et le conduisait à envisager des divergences graduelles, lentes et naturelles. Ses observations sur l’archipel des Galapagos furent décisives dans sa conscience que l’espèce n’est pas une entité immuable. C’est en ces îles que furent posées les bases de sa théorie.
Il fut particulièrement frappé par la variation des mêmes espèces (tortues, iguanes, oiseaux...) d’une île à l’autre, supposant pour chacune et en chaque île, une lente modification et évolution.
Pour cette espèce d’oiseaux qu’est le pinson, il constatait des différences anatomiques extrêmement marquées d’une île à l’autre (taille, bec, coloris, plumage…), et cette diversité au sein d’une même espèce, le convainquait qu’elle ne pouvait provenir que d’une commune espèce ancestrale originale.
La théorie de l’évolution : le jeu combiné du hasard et de la sélection, pilier de la théorie darwinienne, s’inscrit dans une filiation issue des philosophies matérialistes présocratiques de l’Antiquité et de certaines mythologies primitives.
Démocrite et Epicure, posant déjà les bases de l’évolutionnisme, insistaient sur la continuité de la nature, le changement des formes organiques par sélection adaptative, en rejetant toute idée d’intervention des dieux.
Au 18è siècle, c’est dans ce sillage matérialiste et naturaliste que Hume expliquera l’ordre et l’adaptation des formes organiques comme produit d’une jonglerie aléatoire de la matière.
Très vite, Darwin rejette toute idée de force mystérieuse interne aux organismes ou de direction vitaliste de l’évolution (Lamarck), comme facteurs de changement et de perfectionnement.
Mais c’est à son retour en Angleterre en 1936, très directement sous l’influence de sa lecture de Malthus, qu’il va mesurer toute la potentialité de la sélection et de la lutte intense entre les vivants, comme moteur principal du changement naturel. Les variations favorables seraient préservées, les variations nuisibles seraient détruites, selon un processus sélectif non pas dirigé et intentionnel, mais strictement fortuit et aveugle. Tout l’édifice de l’évolution ne reposait que sur la loterie géante du pur hasard : « Darwin tenait là une théorie évolutionniste entièrement matérialiste et mécaniste (…) C’était une revendication révolutionnaire. Le plan autrefois désigné comme le résultat de la création divine est dorénavant attribué au hasard ».
Il est important de le souligner pour la suite, car là se situe sa faille fondamentale : L’Origine des espèces contient deux théories bien distinctes, que Darwin s’est constamment efforcé de relier. La première, dite « théorie restreinte », se limite aux processus de sélection naturelle à l’échelle mineur de la micro-évolution, et la seconde, « théorie générale », extrapole la première à l'échelle macro-évolutive en présupposant son application universelle : les processus de diversification des pinsons des Galapagos devaient bien être transposables à l’ensemble du projet adaptatif de la vie terrestre.
Dans l’esprit de Darwin, la dynamique de la variation évolutive était potentiellement illimitée, radicale, pouvant faire voler en éclat toutes les barrières entre espèces et groupes, telles que les concevait la vision typologique et anti-évolutionniste du vivant.
Et à ses yeux, cette reconnaissance d’un changement organique continue ne pouvait qu’aller de pair avec une appréhension du temps dans sa vertigineuse immensité : « Si un pigeon boulant ou un pigeon-paon pouvaient provenir d’un biset, alors pourquoi, sur des périodes beaucoup plus longues, un cheval ou une pieuvre ne pourraient-ils pas, de la même façon, provenir d’une amibe ? ».
Entre parenthèse, il y aurait matière à s’interroger sur la filiation culturelle entre ce postulat darwinien d’une transformation macro évolutive aussi totalement fluide qu'illimitée, dont aucune frontière ou différenciation intrinsèque au sein du vivant ne viendrait perturber le bon cours, et la puissance idéologique contemporaine de "déconstruction" de toute différence structurante, trompeusement renvoyée à la réaction et à la discrimination : celle qui sépare l'humain de l'animal, ou selon des ressorts comparables, qui établit une complémentarité entre l'homme et la femme. Toute limite enfin franchie, autant de prédispositions à traverser avec le tampon de la Science darwinienne la dernière et ultime frontière entre l'humain et le post-humain, selon un merveilleux progrès évolutif graduel de l’homme vers sa mutation bio-technologiquement « augmentée », nom de com' donné à la sélection post-naturelle des plus aptes et conformes et à l’éradication des boulets trop humains.
Toujours est-il que Darwin pensait tenir de nombreuses preuves de la macroévolution dans l’anatomie comparée et la paléontologie. Il écrit dans L’Origine : « N’est-il pas très remarquable que la main de l’homme faite pour saisir, la griffe de la taupe destinée à fouir la terre, la jambe du cheval, la nageoire du marsouin et l’aile de la chauve-souris soient toutes construites sur un même modèle et renfermement des os semblables, situés dans les mêmes positions relatives ? (…) Ces faits n’éveillent-ils pas l’idée d’une véritable parenté et de la descendance d’un ancêtre commun ? »
L’anatomie comparée semblait ainsi révéler l’unité dans le plan de chaque groupe d’organismes, et en même temps l’unicité de chaque espèce au sein de chacun de ces groupes, selon un modèle hautement ordonné et ascendant de classes emboîtées les unes dans les autres (Espèce, Genre, Famille, Ordre...).
L’ensemble de cette classification du système naturel se fondait selon Darwin sur la généalogie, par descendance avec modification, et non comme l’expression typologique du plan divin de la création, comme le pensaient les biologistes pré-darwiniens.
Par les gisements de fossiles, la paléontologie apporterait également, selon Darwin, la preuve d’une macroévolution organique, selon un continuum du simple vers le complexe, des plantes primitives et des invertébrés vers les vertébrés, eux-mêmes de plus en plus complexes : poissons, amphibiens, reptiles, mammifères.
Il n’est pas anodin que plus de vingt ans séparent le moment où ses idées fortes sont fixées, vers 1838, et la publication de L’Origine, en 1859. Comme un redoutable obstacle qu’il peinait à franchir. Darwin était bien conscient du tremblement de terre qu’impliquerait une théorie éliminant Dieu du projet de la vie. Les échanges de lettres assez poignants avec sa femme très croyante en disent long sur le trouble intime et le conflit intérieur qui ont dû l’habiter entre ces deux dates.
Sa femme lui écrit : « Ne penses-tu pas que l’habitude propre à l’investigation scientifique de ne rien croire avant de posséder des preuves exerce une trop grande influence sur ton attitude envers d’autres choses qui ne peuvent être pareillement prouvées, et qui, si elles sont vraies, dépassent vraisemblablement notre compréhension ? ».
A la fin d’une de ces lettres, Darwin écrit à sa femme : « Quand je serai mort, sache que j’ai souvent embrassé cette lettre et pleuré ».
Denton traduit très bien cette complexité de Darwin : loin de l’image mythique d’un scientifique agnostique intransigeant, par sa profonde sensibilité, il était non seulement envahi par le doute quant aux dramatiques conséquences spirituelles que sa théorie entraînerait, mais aussi quant à la validité même de celle-ci, parfaitement conscient de l’insuffisance de ses preuves et du caractère hautement spéculatif du modèle évolutionniste.
Par son échelle même, l’évolution universelle n’est pas prouvable par les méthodes scientifiques de l’expérimentation et de l’observation. Darwin a constamment butté sur l’absence de preuves empiriques directes d’organismes intermédiaires, indispensables à la validation de sa théorie d’une évolution lente et graduelle, et sur l’impasse conceptuelle de son modèle : « la distinction bien nette des formes spécifiques et l’absence d’innombrables maillons de transition les reliant les unes aux autres est une difficulté évidente », écrit-il.
Son recours constant à l’argument spécieux de l’« extrême imperfection » des documents fossiles, ne fait guère illusion : son œuvre est essentiellement bâtie sur la force persuasive de ses arguments, dans l’insistance sur un ou deux intermédiaires qu’il crût trouver (tel Archeopteryx), non seulement plus que douteux et si loin des innombrables autres formes transitoires que sa théorie aurait exigé.
Malgré l’absence de preuves qu’il reconnaissait lui-même, Darwin (et des générations de successeurs à sa suite) ne dérogeait pas à cette règle qui devint un leitmotiv : l’évolution devait être graduelle et continue. La nature, contrairement à Dieu, ne fait pas de sauts. L’irruption subite à partir de rien suggère le surnaturel, l’évolution graduelle d’un organisme à partir d’un autre qui le précède prouve l’origine naturelle.
Inséparable de l’axiome de la continuité graduelle à grande échelle, il ne parvint pas plus à prouver celui de la sélection naturelle par le mécanisme aléatoire du hasard. Il n’a jamais pu quantifier de quelque façon et expliquer la possibilité du faramineux cheminement que supposerait la transition aléatoire d’un organisme A vers un organisme B.
Pour ne prendre que l’exemple de la stupéfiante complexité de l’œil, Darwin recule lui-même devant l’énormité de ses suppositions hasardeuses : « Il semble absurde au possible, je le reconnais, de supposer que la sélection naturelle ait pu former l’œil (…) J’ai trop bien senti moi-même la difficulté pour être étonné que d’autres hésitent à étendre aussi loin le principe de la sélection naturelle » (L’Origine, p. 192).
Les problèmes insolubles s’accumulaient et on ne comprend que mieux ses si longues hésitations à publier L’Origine des espèces.
Le hasard darwinien était l’antithèse complète de l’acte créateur intelligent. Figés dans les certitudes établies de notre agnosticisme si assuré, il nous est difficile d’imaginer aujourd’hui l’intensité du choc que sa publication entraîna dans les consciences de son temps, les conflits intellectuels, les déchirements en l’intime des familles et des personnes, à sa suite.
L’adoption et la propagation de l’évolutionnisme darwinien « a probablement contribué plus que tout autre facteur au déclin de la croyance religieuse (…) Si l’impact de la théorie darwinienne a été si fondamental, c’est qu’elle a brisé le lien entre Dieu et l’homme, lâché à la dérive dans un cosmos sans projet. Aucune autre révolution des temps modernes (à l’exception peut-être de la révolution copernicienne) n’a aussi profondément affecté la vision que l’homme avait de lui-même et de sa place dans l’Univers ».
De Darwin au dogme : Comment une théorie à ce point fragile et erronée (le livre y revient longuement et dans le détail par la suite), peut-elle si vite bénéficier de l’approbation générale et être élevée au rang de dogme intouchable ?
Comme souvent dans l’histoire des sciences, moins pour les avancées de la connaissance qu’elle propose, que pour l’idéologie du temps qu’elle conforte : celle du conservatisme politique et social de la société victorienne et plus globalement des sociétés occidentales, qui voit dans la continuité gradualiste darwinienne un rassurant facteur d’ordre et de stabilité, transposé du biologique au social, convenant infiniment mieux à l’élite dirigeante que les trop déroutants et imprévisibles grands sauts de Dieu.
L’évolutionnisme biologique collait à merveille avec la foi occidentale dans le progrès industriel inéluctable, et Herbert Spencer fit vite l’analogie « entre l’esprit de compétition dans l’économie de marché, force motrice du progrès économique et social, et la sélection naturelle, force motrice de l’évolution ».
Il était en somme le parfait renfort, enveloppé des plus belles parures du sérieux scientifique, pour justifier efficacement tous les présupposés économiques et anthropologiques de la déferlante techno-capitaliste du temps.
Par ailleurs, la théorie de Darwin fut également portée au pinacle car, par elle, l’étude de la vie, s’insérait désormais exclusivement dans la sphère de la science triomphante, qui déjà un ou deux siècles plus tôt s’était accaparée l’explication des phénomènes physiques, épurés de toute intervention surnaturelle, dite « irrationnelle » pour les besoins de la cause.
La totalité de l’univers vivant et inerte devait être uniformément compris et une bonne fois pour toutes réduite à sa seule essence naturelle. On pouvait enfin solidement fermer le couvercle de plomb : le monde n’était plus lié qu’à lui-même et ne s’expliquait plus que par ses lois propres. Plus une miette du savoir ne devait donc échapper à la science, comme l’expliquait en 1874 le professeur Tyndall : « Nous réclamons à la théologie le domaine entier de la théorie cosmologique et nous réussirons à le lui arracher. Tous les systèmes qui empiètent sur le domaine de la science doivent se soumettre à son contrôle ».
Voilà donc sur quelle base la théorie de l’évolution fut érigée en dogme sacré, intégrée par la grande majorité des biologistes (hormis Owen et Agassiz), pour qui il devenait désormais très respectable académiquement et socialement de ne plus comprendre le vivant qu’en ses seuls ressorts mécanistes, comme il devenait tout aussi convenable pour tout intellectuel d’afficher son hostilité à Dieu, mieux même, de proclamer sa mort.
La théorie darwinienne est aujourd’hui devenue tellement omnipotente et intouchable, dans les débats académiques comme dans les médias grand public, que Richard Dawkins, l’auteur du Gène égoïste, peut tranquillement asséner : « La théorie est aussi peu douteuse que le fait que la Terre tourne autour du Soleil ».
La moindre dissidence à sa stricte orthodoxie (Klammerer dans les années 1920, plus récemment le généticien Steel ou le paléontologue Schindewolf) suscite une vive hostilité de la part d’une communauté de croyants, étouffant les problèmes gênants et défendant son mythe avec d’autant plus de fureur que ses failles sont l’une après l’autre mises en lumière.
Une vérité partielle : la distinction posée plus haut entre « théorie restreinte » (microévolution) et « théorie générale » (macroévolution), prend tout son sens ici.
Pas la moindre preuve expérimentale aux assertions de Darwin n’avait été apportée jusqu’aux années 1950. Quelques études ont dès lors montré que la thèse de l’évolution par sélection naturelle était en effet empiriquement observable dans un certain nombre de cas, mais seulement sur des évolutions mineures au sein d’une espèce ; celle par exemple de Kettlewell sur les papillons de nuit s’adaptant à un environnement de plus en plus pollué par l’industrie.
Et pourtant, la validation partielle de la théorie restreinte par ces études biologiques a, par un opportun ricochet, apporté un semblant de crédibilité à la théorie générale de l’évolution (précisément celle qui fit toute la gloire du darwinisme), en présupposant à nouveau, dans le sillage de Darwin, que la macroévolution était le reflet universel, la reproduction à grande échelle, des processus micro-évolutifs.
S’il est tentant de faire le pas, le gouffre est pourtant infranchissable : « Il y a évidemment une énorme différence entre le changement de couleur d’une aile de papillon et l’évolution d’un organe comme le cerveau. Et les différences entre les mouches du vinaigre de Hawaii, par exemple, sont tout à fait mineurs, comparées aux différences entre une souris et un éléphant, ou une pieuvre et une abeille ».
L’évolution graduelle par sélection naturelle n’est concevable (et observable) que pour des mutations organiques anatomiquement localisées et superficielles, sans quoi, au-delà d’un certain degré de transformation, l’équilibre général et les si complexes interactions qui traversent l’organisme en seraient intégralement perturbés jusqu’à vite compromettre sa viabilité globale. De par l’extraordinaire cohérence d’ensemble des agencements qui lui sont spécifiquement propres, la possibilité pour un organisme d’évoluer est intrinsèquement limitée. L’anatomiste Georges Cuvier l’avait parfaitement décrit.
Qu’est donc cette extrapolation de la micro à la macroévolution, sinon un raccourci fantasmatique, ne s’appuyant sur aucun fait observable ?
La perception typologique de la nature : Selon le modèle typologique, s’il y a variation évolutive, elle n’est jamais inter-type mais toujours intra-type.
Dans ce dernier cas, au sein de chaque classe particulière, les variations sont limitées dans le cadre d’un schéma immuable de caractéristiques communes et archétypales.
Aucun oiseau n’est plus ou moins oiseau qu’un autre, chaque oiseau est équi-représentatif de l’archétype aviaire. Et chaque membre d’une classe est équidistant des membres d’une autre classe, ce qui exclut donc qu’un des membres soit l’intermédiaire d’un membre d’une autre classe : une discontinuité radicale sépare chaque classe d’organismes ; chacune est unique et isolée des autres par une barrière infranchissable.
Avant 1859 et la théorie de Darwin, presque tous les biologistes et naturalistes, qui fondèrent l’anatomie comparée, la taxinomie ou la paléontologie, adhéraient sans réserve à ce modèle typologique de la nature, en contradiction complète avec l’idée d’évolution (du moins à grande échelle).
Le moyen habituel et rabâché des évolutionnistes pour discréditer ce modèle, consistait à dire qu’il reposait sur des préconceptions métaphysiques et religieuses et non sur des faits de nature : on ne souligne jamais trop les préconceptions des autres quand il s’agit d’éluder les siennes propres.
Que nombre d’anti-évolutionnistes aient effectivement eu une sensibilité religieuse en adéquation avec leurs observations, est une chose, mais que leur critique de l’évolutionnisme ait porté sur le constat strictement empirique de ses failles, en est une toute autre.
C’étaient les faits observés et non la Bible ou des présupposés religieux, qui conduisaient Cuvier à constater les caractères constants et faiblement évolutifs au sein des classes d’organismes. Il avait une conscience aiguë du magnifique façonnage d’ensemble propre à chaque organisme. Ses descriptions des liens entre chaque membre d’un carnivore par exemple sont saisissantes : ses griffes ne pouvaient saisir une proie sans une certaine mobilité des doigts, supposant des formes précises de phalanges, et avec, une distribution des muscles et tendons adaptée, un avant-bras mobile déterminant une certaine forme d’os et une proportion musculaire en conséquence, etc… tout cela dans un jeu d’interdépendance engageant l’ensemble de l’organisme, agencé en une impressionnante cohésion, qui rendait inconcevable toute transmutation évolutive majeure et absurde l’idée que cette prodigieuse cohérence serait l’aboutissement hasardeux d’un processus aveugle.
De même, Owen ou H. G. Bronn constatent les séparations nettes entre classes et l’absence de preuves fossiles d’organismes supposément intermédiaires. Et quand Darwin explique que ces intermédiaires fossiles se trouvent dans les pages encore non découvertes du grand livre de la nature, le paléontologue François Jules Pictet demande : « Mais alors pourquoi, et par quelles règles particulières des probabilités, se trouve-t-il que les espèces que l’on rencontre le plus fréquemment et abondamment dans toutes les nouvelles couches découvertes sont, dans l’immense majorité des cas, des espèces que nous avons déjà dans nos collections ? ».
Chaque classe comporte des traits fondamentalement distincts des autres classes.
Par exemple, le poil est propre aux mammifères, et on ne connaît aucune structure de transition entre le poil et d’autres structures dermiques des vertébrés. De même le cortex cérébral est une caractéristique unique aux mammifères, sans aucune forme de structure neurologique qui ferait transition avec d’autres groupes de vertébrés.
Tant dans le règne animal que végétal, les exemples sont innombrables, et abondamment cités ici, de déterminants uniques à chaque classe.
Certains rares organismes peuvent certes combiner les traits bien marqués d’une classe avec ceux aussi bien marqués d’une autre, mais nullement en tant que formes organiques transitoires : tels les dipneustes, ayant des traits de poissons et d’autres d’amphibiens, ou encore les monotrèmes qui ont des caractères à la fois reptiliens et mammaliens. Il y a certes là des anomalies en terme typologique, mais non la trace d’organismes intermédiaires.
On est infiniment loin des séries de transformations graduelles du poisson jusqu’à l’homme, enseignées dans tous les manuels scolaires. Pour séduisante qu’elle soit, l’image classique de la continuité organique transitoire poisson-amphibien-reptile-mammifère, ne résiste pas à l’étude de l’anatomie comparée, qui révèle des ruptures morphologiques profondes entre ces groupes, et une discontinuité fondamentale dans l’ensemble du monde vivant.
La défaillance de l’homologie : Darwin écrit : « N’est-il pas remarquable que la main de l’homme faite pour saisir, la griffe de la taupe destinée à fouir la terre, la jambe du cheval, la nageoire du marsouin et l’aile de la chauve-souris soient toutes construites sur un même modèle et renferment des os semblables, situés dans les mêmes positions relatives ? ».
Pour Darwin, et ses successeurs, l’homologie, le plan d’organisation général qui unit les membres d’une même classe, conforte l’idée d’évolution organique à partir d’un ancêtre commun.
Pourtant, ce présupposé a été largement démenti par les recherches en embryologie et en génétique. Les structures et organes dits homologues chez les vertébrés, connaissent des chemins radicalement différents lors de l’embryogénèse. Parmi de nombreux exemples, il n’y a aucune similitude embryologique dans la formation du tube digestif chez les requins, les lamproies, les grenouilles, oiseaux ou reptiles.
Les bases évolutionnistes de l’homologie ont été plus encore malmenées par les découvertes génétiques montrant que « les structures homologues sont déterminées par des gènes totalement différents d’une espèce à l’autre ».
Les fossiles : Dès la publication de L’Origine, la crédibilité des thèses de Darwin dépendait de la découverte d’organismes de transition. Cette quête enfiévrée des chaînons manquants partout à travers le globe devint obsessionnelle, la marque de toute une époque.
Telle celle du Challenger en 1872 dans les profondeurs maritimes, chaque expédition suscitait une brûlante excitation, mais l’une après l’autre, les déceptions étaient à la hauteur des attentes. Toutes les découvertes concernaient des organismes déjà connus, jamais des intermédiaires si espérés.
On était convaincu en 1860 que ces intermédiaires n’attendaient qu’à être découverts dans les innombrables couches fossilifères alors encore inexplorées.
Pourtant les découvertes du schiste de Burgess en 1909, concernaient des organismes du cambrien jusque-là inconnus, mais jamais comme chaînons manquants entre phylums déjà connus. Et les non moins spectaculaires découvertes d’Ediacara en 1947, n’apportaient pas plus de preuves d’intermédiaires fossiles, désespérément introuvables depuis plus d’un siècle d’intenses recherches paléontologiques.
Aucun fossile à travers le monde ne venait valider l’origine évolutive des phylums et classes, pas plus pour les vertébrés, que les invertébrés ou les plantes.
Les fossiles révèlent que les premiers représentants de chaque groupe apparaissent de façon très soudaine, très rapidement différenciés et dotés de caractères propres.
L’émergence des différents groupes de poissons il y a 400 millions d’années souligne bien ce processus de spécialisation quasi-immédiate et non issue d’une transition avec des groupes antérieurs.
Ce schéma de forte distinction de chaque groupe et d’isolation discontinue d’avec les autres groupes se répète avec l’apparition des premiers groupes d’amphibiens, de reptiles et de mammifères, laissant toujours de vastes intervalles entre les ordres, les classes et phylums, et posant un problème scientifiquement insurmontable à la notion d’évolution des organismes.
Parmi tant d’autres exemples, il n’est qu’à imaginer le nombre quasi infini d’intermédiaires qui seraient nécessaires pour convertir un mammifère terrestre en baleine.
Si l’Archéoptéryx peut dans une certaine mesure apparaître comme un cas exceptionnel d’espèce intermédiaire entre le reptile et l’oiseaux, il ne peut en rien valider le concept de continuité de la nature, tant l’écart entre les formes morphologiques propres à un reptile terrestre et les aptitudes morphologiques si spécifiques à la condition aviaire, nécessiterait pour être comblé un nombre extraordinairement élevé de variations évolutives.
De même, la séquence évolutive du cheval, partiellement convaincante, allant en dix genres d’Eohippus au cheval moderne, relève tellement plus de l’exception que de la règle, comme l’opinion évolutionniste traditionnelle aurait souhaité se l’imaginer.
Et encore, n’est-elle qu’une séquence au sein d’une division mineure, quand pour une division majeure, comme celle qui sépare un mammifère terrestre d’une baleine, nous ne disposons pas de la moindre espèce de transition.
Il n’est plus très sérieux d’expliquer ces immenses intervalles et l’absence de chaînons fossiles entre les grands phylums, par l’argument de l’imperfection des fossiles ou par celui de recherches supposément insuffisantes, après plus d’un siècle d’efforts gigantesques, mais finalement infructueux, pour les trouver.
Aucune roche précambrienne n’a ainsi révélé de transition primitive, ce qui confirme cruellement les doutes qu’exprimaient Darwin lui-même au sujet de sa propre théorie évolutionniste.
Ce constat factuel des discontinuités du vivant, d’autant plus systématiques à l’échelle des grands groupes, va exactement dans le sens inverse de l’évolution graduelle.
S’il y a ces intervalles, c’est que la nature procède par grands sauts, selon le modèle de l’évolution à « équilibres ponctués » (Stephen Jay Gould et Niles Eldredge), avec des phases de surgissement soudain d’organismes entièrement nouveaux, qui ne connaissent ensuite que des évolutions mineures, laissant ensuite place à des phases de longues périodes statiques.
Si ce modèle est parfaitement valable selon Denton pour les intervalles entre espèces, il semble douter qu’il le soit encore à mesure que l’on remonte au niveau des plus grandes échelles, dont les intervalles constituent alors de telles béances qu’ils défient toute explication.
Quoiqu’il en soit, la théorie des équilibres ponctués a grandement contribué à l’affaiblissement de l’idée d’évolution graduelle.
Combler les intervalles : Les croyants en l’évolution graduelle ne disposant donc pas de chaînons de liaison tangibles justifiant les prémisses de leur foi, il leur faut donc les reconstruire conceptuellement.
L’exemple de l’origine des oiseaux montre à lui seul combien la reconstruction d’une transition hypothétique se heurte à l’incommensurable complexité biologique, anatomique, physiologique ou éthologique de l’organisme.
Les rémiges, grandes plumes des ailes des oiseaux, aussi légères que résistantes, forment une organisation anatomique d’une rare subtilité, véritable chef d’œuvre de l’adaptation au vol. Les lames, qui se déploient autour de la tige centrale de l’aile, sont un facteur unique de division du flux aérien et donc de stabilisation de l’aile, rendant le vol possible.
Pour les biologistes évolutionnistes, la plume de l’oiseau a évolué à partir de l’écaille reptilienne. Par quelles séquences d’événements et par quels états de transition ? Selon une hypothèse, les oiseaux se sont mis à voler en descendant des arbres, et selon une autre en s’élevant depuis le sol : théorie des arboricoles versus théorie des coureurs.
Ces deux modèles, qui comportent de nombreuses variantes, soulèvent une multitude de problèmes aérodynamiques assez longuement décrits ici. Ils ne sont pas en mesure d’expliquer le problème crucial de l’origine de la plume, du fonctionnement si complexe et rigoureux de la surface de l’aile, seule à même de stabiliser le vol de l’oiseau, et le gouffre qui le sépare des longues écailles de supposées espèces pré-aviaires : « Supprimez la coadaptation subtile des composantes, supprimez l’ajustement des crochets et des barbules, supprimez la disposition parallèle précise des barbes sur la tige, et il ne reste qu’une structure flexible et molle absolument incapable de servir de base au développement d’une surface portante étanche et rigide. L’étanchéité et la rigidité de la plume, qui en font une si belle adaptation au vol, dépendent avant tout d’un système tellement exceptionnel de composantes coadaptées qu’il semble impossible qu’une structure de transition plus ou moins ressemblante puisse posséder la moindre de ces propriétés cruciales ».
Outre l’aptitude organique au vol, les oiseaux possèdent d’autres caractéristiques propres, qui défient toute explication évolutionniste.
Ainsi, le système pulmonaire et respiratoire des oiseaux est unique en son genre parmi les vertébrés, permettant la circulation d’un flux d’air unidirectionnel tant à l’inspiration qu’à l’expiration. Un système très complexe de sacs aériens leur assure un approvisionnement permanent d’air à travers les bronches, rendu possible par une division très spécialisée de la cavité du corps en plusieurs compartiments compressibles. On retrouve cette structure essentielle et unique chez tous les oiseaux, de l’autruche à l’oiseau-mouche.
Et nous voilà à nouveau placés face à la question insoluble d’une évolution graduelle, viable et fonctionnelle, vers un système respiratoire des plus complexes, dont chaque composante fonctionne de façon parfaitement intégrée à l’ensemble, si profondément différent du modèle standard des autres vertébrés.
Au-delà du cas des oiseaux, Michael Denton se penche sur quantité d’autres exemples révélant la difficulté voir impossibilité conceptuelle de réduire ces intervalles : celui qui sépare le vol plané du vol si parfait de la chauve-souris ; les discontinuités, comblées par aucune forme connue, entre la loutre marine et le phoque, entre le phoque et la baleine ; la complexité « révolutionnaire » de l’œuf amniotique reptilien (coquille dure étanche, blanc d’œuf gélatineux etc…), déterminante pour l’épanouissement de la vie terrestre des vertébrés, et le fossé qui le sépare de l’œuf de l’amphibien, beaucoup plus sommaire et dépendant du milieu aqueux pour son développement ; l’origine totalement inconnue de l’extraordinaire appareil copulateur de la libellule et de son fascinant vol d’accouplement ; l’absence d’explication gradualiste aux étonnants phénomènes de métamorphose, fréquents chez les invertébrés, notamment insectes parfois crustacés, par lesquels un organisme totalement fonctionnel émerge de la désagrégation d’un précédent organisme tout aussi fonctionnel ; pas plus d’explications gradualistes apportées pour l’incroyable mécanisme de pollinisation de l’orchidée Coryanthes, et autres ingénieux dispositifs de pollinisation croisée ou encore pour la façon qu’ont des plantes insectivores de leurrer, piéger et digérer leurs proies.
Dans le monde vivant, les exemples sont pour ainsi dire interminables, de prouesses organiques toutes plus merveilleuses et déroutantes les unes que les autres, inexplicables selon un trop simpliste schéma évolutif gradualiste et par la froide mécanique aléatoire du hasard.
La révolution de la biologie moléculaire : les prétentions évolutionnistes ont enfin dû se confronter aux spectaculaires découvertes en biochimie de la décennie 1950, qui ont mis au jour les bases moléculaires de la vie, jusque-là largement inconnues : la structure en double hélice de l’ADN, révélant les bases chimiques de l’hérédité ; la structure complète d’une protéine, l’insuline, et premières images en 3D de cette structure ; la fonction des principales composantes moléculaires de la cellule…
Une brève description est d’abord fournie ici des principales molécules de vie et de leur rôle dans la cellule. Très schématiquement, et en demandant l’indulgence aux fins connaisseurs de la biologie :
Les molécules de protéine effectuent les tâches essentielles de la vie cellulaire. Chacune d’entre elles consiste en une longue chaîne moléculaire, constituée de composés organiques appelés acides aminés, comportant chacun une vingtaine d’atomes.
Remplissant une multitude de fonctions biochimiques, les protéines ont besoin d’une autre classe de molécules pour s’assembler elles-mêmes, les acides nucléiques. Les protéines sont la « force productive », les acides nucléiques sont la « banque de données » contenant les informations nécessaires à la construction des protéines. Les acides nucléiques sont de deux types, l’acide désoxyribonucléiques (ADN) et l’acide ribonucléique (ARN).
Dans le noyau de la cellule, l’ADN contient les plans originaux. Les molécules d’ARN sont des « photocopies » de l’ADN, transportées vers toutes les parties de la cellule où se fabriquent les protéines. L’information des systèmes vivants circule donc toujours dans le sens ADN-ARN-Protéines.
Comme les protéines, l’ADN et l’ARN sont de longues molécules en chaîne, formées par l’assemblage de briques élémentaires, les nucléotides. Deux brins hélicoïdaux maintenus solidaires par des liaisons chimiques configurent l’ADN, et s’enroulent l’un autour de l’autre pour former la structure en double hélice. Les gènes sont les messages codés contenus dans la séquence linéaire des éléments de la molécule d’ADN. La séquence de nucléotides de l’ADN est donc copiée en une séquence appelée ARN messager (ARNm), qui se déplace du noyau jusqu’au site où a lieu le décodage du message.
L’ensemble du système cellulaire est capable de s’autorépliquer par ce processus.
L’énigme de l’origine de la vie : Les découvertes révolutionnaires de la biologie moléculaire des années 1950 ont porté le coup fatal aux espoirs évolutionnistes de déceler des intermédiaires entre la chimie et la cellule, une continuité évolutive entre le monde inorganique et le monde vivant.
A ce stade originel, le gouffre n’en est que plus vertigineux : « Aujourd’hui, nous savons non seulement qu’il existe un hiatus entre le monde inerte et le monde vivant, mais aussi que celui-ci représente la plus spectaculaire et la plus fondamentale de toutes les discontinuités de la nature. Entre une cellule vivante et le système non biologique le plus ordonné, tel le cristal ou le flocon de neige, il y a un abîme aussi vaste et absolu qu’il est possible de concevoir ».
Des bactéries aux mammifères, la structure fondamentale des cellules est la même chez tous les êtres vivants, ne laissant entrevoir aucune séquence évolutive empiriquement observable : « Sur le plan biochimique, aucun système vivant ne peut donc être considéré comme primitif ou ancestral par rapport à un autre. »
Selon l’axiome religieux de la biologie évolutionniste, de la même façon qu’en son développement ultérieur, la vie ne peut avoir émergé que selon un processus graduel et sélectif, à l’issue d’une longue période d’évolution proto-cellulaire, par laquelle une molécule primitive aurait lentement accumulé les mutations favorables à sa reproduction et son autoréplication, sous la seule et géniale impulsion d’un dieu borgne nommé Hasard.
Notre culture est si profondément imprégnée par cette croyance idolâtre, qu’il nous est mentalement inconcevable d’appréhender l’événement de l’irruption de la vie en sa bouleversante voir miraculeuse unicité.
Si médiatisée, la quête spatiale de formes de vie extra-terrestres, éperdue mais à chaque fois déçue, vise à conforter le nécessaire présupposé d’une vie « banalement » répandue dans l’univers, selon les lois reproductibles d’un continuum menant à la cellule vivante, par des mécanismes récurrents et purement naturels, et par là même, à asseoir les prérogatives exclusives de la science expérimentale sur la question des origines de la vie.
Le scénario évolutionniste de l’émergence de la vie est bien connu : celui de la « soupe primitive », ce grand bouillonnement, d’où s’opère la synthèse chimique d’organismes basiques accumulés dans les océans primitifs, et où en certains environnements appropriés, s’assemblent progressivement des molécules de protéines et d’acides nucléiques, finissant par trouver les combinaisons favorables à leur reproduction, jusqu’à donc l’émergence de la première cellule vivante.
Après plusieurs décennies de recherches, aucune des plus anciennes roches (comme celles du Groenland occidental, dites « roches du commencement ») ne porte pourtant la moindre trace de ces composés organiques primaires formés de manière abiotique.
La thèse de la « soupe primitive » met bien vite de côté le problème des conditions atmosphériques de la Terre primitive, qui semblent exclure toute viabilité possible de ces proto-organismes.
Ce n’est donc pas le cas, mais quand bien même on aurait finalement trouvé des traces de cette soupe prébiotique, insurmontable resterait l’écart entre ses composants primitifs et la cellule achevée. En termes évolutionnistes, cela nécessiterait une série successive de systèmes proto-cellulaires balbutiants jusqu’à la cellule définitive, dotée d’une prodigieuse efficacité.
En ces hypothétiques protocellules, les mécanismes de traduction rudimentaires entraineraient des erreurs répétées dans la synthèse des protéines, rendant plus qu’improbable leur fonctionnalité et viabilité. Et « c’est précisément parce que le système de traduction dépend de manière critique de la précision de fabrication des protéines qu’un appareil de synthèse imparfait est si difficile à concevoir (…) Comment des enzymes efficaces ont-elles pu être fabriquées avant que n’existe un système de traduction efficace ? Des enzymes efficaces, donc, ont dû précéder un système de traduction précis, mais ces mêmes enzymes sont absolument dépendantes d’un tel système ! ».
Chaque erreur entraînerait fatalement en cascade des erreurs démultipliées, des protéines inefficaces, des taux de mutation hypers élevés, condamnant donc inexorablement le cycle de la réplication cellulaire à l’autodestruction.
On est donc là face à un problème inexplicable en termes évolutionnistes. D’autant que le problème est encore beaucoup plus vaste que celui du seul appareil de synthèse des protéines, dépendant lui-même de la membrane cellulaire, qui elle-même dépend d’un appareil de synthèse des protéines parfaitement efficace. Et l’on pourrait multiplier les exemples de systèmes d’interdépendances, dont seule la parfaite coordination et coadaptation des composants, peut rendre viable le fonctionnement global d’une cellule, dans sa si haute précision architecturale.
L’origine entière de la cellule, du code génétique et de sa traduction, l’origine même de la vie, nous placent tout simplement face à une énigme, dans la béance de laquelle s’écroule tout l’édifice de l’évolution darwinienne.
Francis Crick, le biochimiste prix Nobel, l’admet en ces termes : « Un honnête homme armé de tout le savoir dont nous disposons actuellement ne pourrait pas aboutir à une autre conclusion : dans un sens, l’origine de la vie apparaît presque aujourd’hui comme un miracle, tant sont nombreuses les conditions qu’il aurait fallu avoir satisfaites pour la mettre en marche. »
Un écho biochimique de la typologie : Le modèle typologique a toujours défini des séparations nettes entre groupes, bien que manquaient les moyens quantitatifs et mathématiques de mesurer cette distance, comme celle entre un chat et un chien, que l’on ne pouvait comparer avec celle séparant un chat et une souris.
La révolution de la biologie moléculaire a procuré un puissant moyen de comparaison biochimique des organismes, en révélant que la séquence d’une protéine donnée variait légèrement entre espèces voisines et d’autant plus largement à mesure que se différenciaient les espèces. Par exemple, la séquence de l’hémoglobine diverge de 20% entre l’homme et le chien, et autour de 50% entre l’homme et la carpe.
Quoique les écarts ne soient pas les mêmes d’une séquence de protéine à l’autre, les différenciations morphologiques entre organismes et les grandes classes archétypales déduites de l’anatomie comparée, sont systématiquement confirmées sur le plan moléculaire.
D’un organisme à l’autre, la protéine cytochrome C (vouée à la production de l’énergie cellulaire) a la même structure de base, mais avec des séquences d’acides aminés dont les divergences s’accroissent nettement à mesure qu’augmente la distance taxinomique entre organismes : « Par exemple, entre un cheval et un chien (deux mammifères) la divergence est de 6% ; entre un cheval et une tortue (deux vertébrés), de 11% ; et entre un cheval et une mouche (deux animaux), de 22% ».
Son étude est d’autant plus révélatrice qu’on trouve cette protéine dans une très large variété d’organismes, des bactéries aux mammifères. L’étude détaillée de ces différenciations du cytochrome C souligne de façon frappante (de nombreux tableaux à l’appui dans le livre), la distinction entre classes, d’autant plus marquée quand on monte dans la hiérarchie taxinomique, et l’absence complète d’intermédiaires entre elles.
Elle confirme de façon saisissante le modèle de la nature établi par les typologistes pré-darwiniens et infirme brutalement la série évolutive classique cyclostome-poisson-amphibien-reptile-mammifère.
Les mêmes constats se dégagent de la comparaison des séquences d’ADN et d’ARN chez différentes espèces : « Des milliers de séquences différentes de protéines et d’acides nucléiques ont été maintenant comparées chez des centaines d’espèces différentes, mais jamais on n’a trouvé une séquence qui était, en quelque sens que ce soit, la descendance ou l’ancêtre de l’autre. Il suffit, pour s’en persuader, de consulter les matrices de différence de séquence données dans l’ouvrage de référence, l’Atlas of Protein Structure and Function de Dayhoff, disponible dans toutes les grandes bibliothèques. »
La biochimie enterre le mythe évolutionniste d’espèces ancestrales, primitives ou intermédiaires, rend insoluble toute explication en termes de hasard et de sélection et prouve empiriquement « le caractère incroyablement ordonné de l’ensemble des divisions (…) Comment le processus aléatoire de l’évolution a-t-il pu aboutir à une structure aussi ordonnée de la diversité du vivant ? (…) L’influence du paradigme évolutionniste est si puissante qu’une idée qui ressemble plus à un principe de l’astrologie médiévale qu’à une théorie scientifique sérieuse du XXè siècle est devenue une réalité pour les biologistes évolutionnistes ».
Darwin était envahi par le doute et s’interrogeait en privé : comment des organismes aux agencements et à l’ingéniosité si proches de la perfection, pouvaient-ils résulter de la sélection aléatoire ?
Comment en effet, sinon par les ressorts de la pensée morte, peut-on concevoir la complexité d’une cellule vivante, la grandiose harmonie fonctionnelle des innombrables éléments qui la composent, la place si précise assignée aux dix mille milliards d’atomes qu’elle contient, comme résultat du processus aveugle du hasard et de la nécessité ?
Et quel sentiment de l'absurde nous saisirait plus encore, si après l’observation émerveillée des prodigieuses interactions d’une seule cellule vivante, l’on confrontait le postulat évolutionniste du hasard, à l’organisation globale d’un mammifère, jusqu’à celle d’un cerveau humain ?
On ne s'arrêtera pas aux conclusions provisoires de Mickaël Denton.
Ici, et comme en un certain point de la réflexion éthique d'Anne Dambricourt Malassé, un pont lancé vers la pensée de Günter Anders serait le bienvenu. Le règne mortifère du hasard conduit inéluctablement à l'obsolescence de l'homme. Le mépris qu'a l'homme de lui même, et qui plus est pour le reste du monde vivant, le voue à la mort certaine. Ce mépris de lui-même s'ancre en cette croyance maudite : il n'est qu'un épiphénomène de la matière organique, un produit transitoire et accidentel du hasard génétique. S'il n'est que cet improbable et éphémère sac d'atomes et de molécules, aucune inaliénable valeur transcendante à la biologie ni ne le fonde, ni n'inscrit sa dignité, ni ne le dissuade donc de se livrer à son autodestruction, comme à celle de la Terre, fautive d'avoir engendré son absurde évolution.
Günter Anders caractérisait la honte prométhéenne en ce paradoxe d'un orgueil d'auto-humiliation, un hubris tendu vers l'auto-anéantissement.
Toute Altérité enterrée, ne reste plus qu'à voir et comprendre le rire effréné d'un enfant, le ballet aérien de milliers d'étourneaux sansonnets, ou la promesse poétique d'une fleur printanière qui éclot, qu'à l'unique aune de rouages biochimiques complexes, issus de la loterie hasardeuse des chaînes successives d'erreurs de copie génétique.
Si la chair de l'homme et de la vie, l'enfance, l'art et la pensée, ne procèdent de rien d'autre que de cela, alors oui, effectivement, fièrement libres de tout insaisissable mystère, on peut y aller tranquille, tout droit, sans retenue, triomphalement, vers le tombeau high tech de la biologie de synthèse, de l'intelligence artificielle, du transhumanisme et du surarmement nucléaire.
Derrière la glorieuse bannière de la Science et de la Raison, of course. Et contre les religieux et bigots de tout poil, bien évidemment.
D'aucuns disent même que ça créera de l'emploi et que ça relancera la croissance économique. Alors ne laissons surtout pas les chinois et les russes nous devancer. Le TGV du Progrès n'attend pas les retardataires.
Quatre milliards d'années d'évolution à l'aveugle, par hasard, sans quête ni but, valent bien une dernière course folle vers les abîmes, du fond desquels, l'ultime vainqueur de la sélection naturelle aura bien droit aux félicitations du dieu Hasard. Il aura bonne mine.
Meurtre métaphysique. Obscurantisme d'un autre âge. Nihilisme matérialiste forcené, produit de l'esprit humain malade et privé d'espérance.
Mickaël Denton le dit très bien, la théorie darwinienne de l’évolution est « le grand mythe cosmogonique du XXè siècle ».
Elle constitue dans la culture occidentale le couronnement d’une vision purement naturaliste du monde, ayant éradiqué de notre conscience de nous-même et de la totalité du monde vivant, toute perception d'une intention créatrice divine.
Elle est le plus puissant facteur structurant notre vision du monde depuis plus d’un siècle et demi : une bonne part de notre agnosticisme, de notre matérialisme, de notre philosophie, de notre économie politique, s’est forgée en ce modèle paradigmatique, pourtant aussi spéculatif qu’empiriquement infondé.
Peut-on seulement imaginer l’ampleur du cataclysme qu’entrainerait en cascade sur nos systèmes de croyance comme sur le fondement de nos institutions, la reconnaissance de son échec fondamental ? Elle est inséparable du dévoilement d'une bonté fondatrice.
Au terme de la lecture de ce livre si riche et stimulant, on reste néanmoins dubitatif sur un point crucial, où se situe peut-être sa limite et son angle mort.
En affichant résolument son anti-évolutionnisme contre Darwin, Mickaël Denton, ne jette-t-il pas un peu vite le bébé avec l'eau du bain, en balayant toute idée d'évolution en même temps que les concepts sur lesquels Darwin a fondé sa théorie de l'évolution, à savoir le hasard, la sélection naturelle et le gradualisme ?
L'observation empirique des discontinuités organiques et fonctionnelles typologiques, doit-elle exclure, sur un tout autre plan de connaissance, le problème d'une loi de continuité macro-évolutive qui en un certain point, par son incommensurabilité même, échappe à la méthode scientifique ?
Notre regard sur l'évolution se libérant de sa si étroite réduction néo-darwinienne, n'est-il pas d'autant plus puissamment attiré, et avec quel émerveillement, par ce frémissement de questions nouvelles, ouvertes et incertaines, qui interrogent l'énigme de son principe, de sa cause et de sa finalité ?
Serge Lellouche
" - Crois-moi ma grisette.
Si le hasard génétique de l'évolution est capable de faire d'un reptile une poule,
à terme, on peut raisonnablement espérer qu'il nous fournisse
des dents de Léopard, des cornes de Yak, des ailes de vautour
et un cerveau de paléontologue néo-darwinien.
- Cool ! Et l'œuf plaqué or, c'est envisageable au bout de combien de mutations foireuses ? "