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Anne Dambricourt Malassé

et la mémoire interne de l’hominisation

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Née le 14 juillet 1959, Anne Dambricourt Malassé est paléoanthropologue au CNRS, détachée au Museum national d'Histoire naturelle. Elle dirige depuis plusieurs années des missions archéologiques en Asie.

(Voir éléments biographiques sur son site).

Elle vient de publier en 2 tomes, Embryogenèse et phylogenèse de la posture humaine ; Un renversement de regard sur le devenir de notre espèce (ISTE-éditions, Londres, 2022).

On présente ici les grandes lignes de sa découverte scientifique sur les processus et l’origine de la verticalisation du corps humain ; ses implications bouleversantes sur la théorie de l’évolution darwinienne et son application à nos origines ; le déni forcené suscité par le changement de paradigme qu’elle entraîne ; le versant plus éthique et philosophique de sa réflexion, que stimule sa découverte.

René Thom, le prix Nobel de mathématiques, écrit à son sujet : « Je ne crois pas dans ma carrière avoir rencontré un biologiste ayant un sentiment aussi fin et aussi précis des contraintes d’équilibration globale de l’être vivant ».

 

 

 

                      

 

Je tiens à remercier Madame Dambricourt Malassé

pour nos échanges et sa relecture du texte, auquel elle a apporté

de nombreuses précisions, dans sa première partie.

                       

 

 

 

S'appuyant sur la phylogénèse et l'embryogénèse, la thèse d’Anne Dambricourt Malassé rétablit notre regard sur la très longue durée évolutive :

 

Depuis 60 millions d'années et l'émergence des premiers primates, par étapes successives et toujours plus rapprochées dans le temps, une imperturbable dynamique de verticalisation est à l'œuvre, générant le redressement du corps humain. Cette dynamique serait peut-être de nouveau en cours.

 

Parmi les mammifères et dans l'ensemble du règne animal, elle n'a agi dans aucune autre lignée que celle des primates.

 

Un os en particulier, le sphénoïde, situé à la base du crâne, est l'épicentre autour duquel s'organise cette prodigieuse dynamique de verticalisation (de la face à la dernière vertèbre) et de conscientisation, dont le développement du système nerveux est le moteur.

 

Si les effets concrets de cette grandiose séquence évolutive de l'hominisation sont empiriquement observables, la loi et le principe dont elle dépend, demeurent largement incompris.

 

Le constat de cette séquence conduit en effet Anne Dambricourt Malassé à dépasser le paradigme darwinien de la nécessité de marcher pour s’adapter au milieu : l’hominisation et l’usage de la bipédie exclusive ne sont pas fondamentalement la conséquence du passage du milieu arboricole à celui de la savane (les découvertes récentes en Asie, suggèrent que cette évolution aurait pu également se produire dans des niches écologiques équivalentes à celles de l’Afrique), mais sont la conséquence de processus d’auto-organisations mémorisés dans les cellules de la reproduction et donc transmissibles.

 

Découvrir des processus internes, non aléatoires générant avec une impressionnante cohérence l’ensemble de cette dynamique d’hominisation lui valut un important écho médiatique, mais il n’en fallut pas plus pour qu’elle ne subisse un procès pour créationnisme déguisé, dans l’affolement général d’un petit milieu militant.

 

 

De la mandibule à la découverte des dynamiques qui l’unissent au sphénoïde

 

 

Au début des années 80, le sujet du Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) d’Anne Dambricourt Malassé est consacré à la mandibule, ou mâchoire inférieure.

Au Musée de l’Homme, elle procède à une synthèse des articles sur les différences anatomiques et métriques de mandibules d’Homo sapiens, d’Homo erectus, d’Australopithèques, de chimpanzés et de gorilles.

Elle constate que le redressement de la partie la plus en avant de la mâchoire, là où se forme le museau chez le singe, le menton chez l’homme, coïncide avec le redressement de la colonne vertébrale.

 

Elle propose en hypothèse, une corrélation dynamique entre redressement antérieur de la mandibule et celui de la colonne vertébrale, en s’appuyant sur les principes de la rhéologie appris pendant ses études en géologie (science de la déformation des matériaux sous la contrainte physique ; ex : tectonique des plaques, plissements alpins etc…).

 

La verticalisation de la mâchoire et le reformatage des os, devaient relever de ce système de transformation dynamique.

Elle est reçue major de sa promotion.

 

Elle s’inscrit en thèse de doctorat à l’Université Pierre et Marie Curie avec cette hypothèse, qu’elle va tester, en mesurant la forme de la mandibule chez ces espèces, à chaque stade de leur développement jusqu’à l’âge adulte et en la replaçant sous le crâne avec lequel elle s’articule.

 

Au Muséum (Anatomie comparée, Musée de l’Homme, Galerie de Paléontologie), ainsi qu’à l’Institut de Paléontologie Humaine, elle  décrit  l’anatomie de la mandibule et crée un protocole de mesures dans les deux plans de l’espace, celui qui coupe le squelette dans le sens vertical, et le plan horizontal. Ce protocole est géométrique. Elle compare ainsi des mandibules d’espèces actuelles, dès les stades fœtaux quand c’est possible, des moulages d’hominidés fossiles et des fossiles de primates.

 

En observant la base externe des crânes dans le plan horizontal, là où s’articule la mandibule, elle est frappée par une différence de forme cohérente avec le redressement dans le plan vertical, la mandibule à museau correspond à une base de crâne longue et étroite chez le singe et celle au menton, à une base courte et large chez l’Homo sapiens. 

 

Elle en déduit un processus dynamique qu’elle nomme « contraction crânio-faciale » mais pour le comprendre il lui faut regarder à l’intérieur de la base du crâne qui ne s’étudie que par des radiographies.

 

Grâce à de nouvelles radiographies de singes encore rares à l’époque et onéreuses, qu’elle fait faire selon les normes de l’orthodontie, elle ajoute la base du crâne et crée un modèle géométrique dans les deux plans qui dessine un double losange, qu’elle nomme « double pantographe ». Ce modèle permet de mesurer des angles et de tester les liens dynamiques en calculant les corrélations angulaires entre la mandibule et la base crânienne.

 

La base du crâne est plate chez les primates les plus primitifs alors qu’elle est verticalisée au-dessus du cou chez l’Homo sapiens, le double pantographe montre la contraction crânio-faciale le long de la phylogenèse.

 

Des premiers primates jusqu'à l’homme, elle découvre que la clé de cette dynamique se trouve à l’intérieur du crâne, avec un os composite, à partir duquel ce mouvement rotatif de contraction et de redressement se met en place : le sphénoïde.

 

La base s’avère être la première partie du crâne à se former chez l’embryon à l’état de cartilage, avec le sphénoïde en son centre.

 

Il fallait replacer la base du crâne dans son contexte avec l’encéphale en formation. Elle recherche alors l’explication de ce redressement dans des articles et s’aperçoit qu’elle est inexistante. Le sphénoïde est plat chez tous les embryons de mammifère, chez l’Homme aussi. Elle retrouve un article de 1900, inconnu des primatologues et paléontologues, d’un embryologiste qui avait décrit la rotation du sphénoïde chez l’Homme mais ne l’avait pas expliquée.

 

Elle procéda à une synthèse d’un grand nombre d’articles sur la formation du système nerveux embryonnaire. A ce stade c’est le tube neural. Le cerveau n’est pas encore formé. Et avec un modèle géométrique qui compare les angles de la base et les trajectoires du système nerveux en formation situé au-dessus, elle met en évidence l’origine dynamique de la rotation du sphénoïde : les forces viennent des mouvements compliqués du tube neural.

 

Toute l’organisation évolutive de la base du crâne et du squelette qui la prolonge jusqu’à la dernière vertèbre, va donc se mettre en place sous l’impulsion dynamique du système nerveux embryonnaire en formation et en fonction des changements de position de cet os, le plus complexe du crâne, décrit en forme de papillon par les anatomistes, caché du regard, dans la base du crâne, en arrière des fosses nasales.

 

Chez les plus anciens primates, type lémuriens et tarsiers, classés avant les simiens (autrefois les primatologues les nommaient prosimiens), le sphénoïde est plat, à l’horizontal, le cervelet se trouvant donc à la même hauteur que les lobes frontaux, comme chez les autres mammifères. L’horizontalité de la base se retrouve avec une mandibule longue, basse et étroite, formant un long museau, et une posture de la colonne vertébrale, qui est celle de la quadrupédie.

 

Le sphénoïde entame sa flexion vers le bas pour la première fois il y a 40 millions d’années, avec les singes, dont la base crânienne s’en trouve déjà plus raccourcie et fléchie. Avec le simien, l’axe antéro-postérieur (AP) de l’embryon, jusque-là horizontal, se brise pour la première fois en 600 millions d’années d’évolution des vertébrés.

 

A chaque fois que se produit une nouvelle flexion du sphénoïde, la mandibule change de forme dans le sens de son rétrécissement, à la naissance le crâne perd peu à peu sa forme plate et allongée, le système cérébral se complexifie et voit le cervelet toujours plus basculer en dessous du cerveau, la colonne vertébrale se redresse, de la face au sacrum, jusqu’à déterminer à un certain stade (avant même Homo sapiens), l’émergence des premiers signes de culture, de conscience et de langage.

 

Dans cette métamorphose au long cours, elle conclut que la réorganisation morphologique et le redressement conditionnent le développement psychomoteur après la naissance, ce qui engendre l'éclosion de la conscience réfléchie et de la pensée symbolique.

 

La très récente prise de conscience humaine de son inscription dans des processus cosmiques de complexité-conscience croissantes est dans le prolongement des processus organiques de complexification du système nerveux central, de sa verticalisation depuis la base du crâne, entraînant celle de la colonne vertébrale et la contraction crânio-faciale avec le rétrécissement des deux mâchoires supérieure et  inférieure.

 

La mandibule étant le témoin fossilisé le plus fréquent, cet os est statistiquement le plus représentatif de ce processus d’origine interne.

 

Pour Anne Dambricourt Malassé, la capacité de réflexion de l’Homme sur lui-même et sur le monde procède directement de la verticalisation de son système nerveux, que l’on ne retrouve chez aucun animal, et non pas seulement de la complexité des hémisphères cérébraux.

 

En effet, elle insiste sur l’importance du rôle du cervelet dans le processus de réflexion consciente caractéristiques de l’hominisation, du fait même de son positionnement plus instable au-dessus de la colonne vertébrale afin de ne pas chuter, ce qui ne sera jamais le cas d’un singe quadrupède.

 

Le cervelet doit être davantage informé par le cerveau de sa propre position et l’informer des mouvements à contrôler, les flux d’informations et leur vitesse nécessitent la formation d’une boucle de réflexion plus complexe entre les néocortex du cerveau et du cervelet et donc plus de réseaux de neurones.

Or, la contribution du cervelet à des fonctions cognitives a été reconnue en neurosciences progressivement, dans les mêmes temps que sa recherche.

 

Dans cette perspective, la bipédie de l’Homme et des autres Hominidés, doit être comprise comme la conséquence psychomotrice de la verticalité axiale acquise lors de l’embryogenèse et de la complexification du système nerveux, et non comme le moteur du redressement axial provoqué par la nécessité environnementale de marcher sur deux pieds.

 

La bipédie exclusive au sol est la conséquence d’une évolution de l’embryogenèse dont la verticalisation axiale tout comme la disparition du croc ou la forme évasée du bassin sont des effets.

Ce mode de locomotion est la conséquence d’un seuil de redressement embryonnaire qui s’est répété pour la troisième fois, ce n’est pas un épiphénomène d’un changement de mode de vie dépendant de la fréquence des arbres. L’Hominidé et l’Homme en particulier, ne sont plus des grands singes.

 

En 60 millions d’années d’évolution, des primates primitifs aux grands singes jusqu’à l’Australopithèque et les lignées du genre Homo, l’apparition d’un nouveau plan d’organisation telle que reconnue par la classification (prosimien, petits simiens, grand singe, Hominidés), est systématiquement liée à une nouvelle flexion du sphénoïde, orientée dans le sens de sa verticalisation, atteignant la limite de la verticalité avec Homo sapiens.

 

Sur une échelle de temps beaucoup plus longue encore, Anne Dambricourt Malassé conclut que « sur la courbe de la complexité croissante des cordés, nous sommes le seuil maximal de la verticalité de la corde ».

 

Cette longue évolution manifestée par la flexion de la base du crâne ne s’est pas produite de façon lente et graduelle, mais très nettement par paliers successifs, embryologiquement bien différenciés, cinq précisément (les quatre fois où le sphénoïde a continué de plier), repérables avec précision sur l’échelle du temps, entrecoupés de très longues périodes de stabilité, mais de plus en plus courtes depuis le premier seuil de verticalité : « une macroévolution continue dans ses causes et ses effets mais discontinue dans l'arrangement de ces effets ».

 

 

Le néo-darwinisme, obstacle à la connaissance

 

 

Telle est la découverte majeure de cette recherche : l’angle sphénoïdal a irréversiblement fléchi en fonction d’une mémoire interne, traçant une flèche du temps interne. Ceci ne constitue pas une hypothèse. C’est un constat, un fait de science établi sur des protocoles métriques richement documentés.

La reconnaissance de sa découverte a été entérinée en 2011 par l’Habilitation à Diriger des Recherches (HDR).

La flexion par étapes de la base du crâne sur plusieurs dizaines de millions d’années se répète avec une telle constance, une telle stabilité chronologique et un sens si parfaitement orienté, qu’elle révèle une mémoire interne de l’espèce qui en détermine la dynamique. Cette dynamique se reproduit par la seule mémorisation des processus de réorganisation de l'embryogenèse, lors de la duplication des cellules sexuelles : « Seules des propriétés de reproduction des processus de réorganisation peuvent rendre compte de la stabilité d’une trajectoire géométrique et dynamique, sur d’aussi longues durées géologiques. »

 

Le problème de l’auto mémorisation se pose dès l’apparition de la vie et les premiers cycles cellulaires : « comment le mode d’emploi de la fabrication d’un système clos, dynamique, et complexe comme une cellule, s’est-il mis en mémoire de lui-même ? Cette question est primordiale et elle heurte les esprits depuis les premiers philosophes grecs de la nature avec la question de la génération de l’espèce. »

 

L’auto mémorisation, l’auto régulation et la transmission de cette imperturbable métamorphose ne correspond à aucun paradigme évolutionniste en vigueur.

 

Les implications sont considérables, non seulement pour la théorie de l’évolution, mais aussi pour la compréhension de notre identité évolutive, ici et maintenant.

 

Dans cette nouvelle approche de la vie et en particulier ici de l’hominisation, le rôle de l’adaptation à l’environnement comme facteur évolutif, n’apparaît plus dès lors que très secondaire, incidence superficielle de la microévolution.

 

Celui des systèmes dynamiques internes et de leurs propriétés devient quant à lui central : « L'approche scientifique la plus aboutie est celle qui permet d'écrire une théorie, c'est-à-dire une description mathématique des changements de forme. La bonne méthode pour comprendre les processus qui ont pu agir à ces instants, est une formulation mathématique de leurs effets macroscopiques : écrire l'équation des changements angulaires les plus précoces dans l'embryogenèse des espèces actuelles, qui dérivent directement des espèces fossiles. ».

 

Que les formes organiques changent en fonction d’un temps interne relève de la pure hérésie selon les critères de la théorie synthétique de l’évolution, dite néo-darwinisme, formulée en 1947.

 

Les travaux d’Ilya Prigogine, le prix de Nobel de chimie en 1977, l’ont montré avec force : la durée, la flèche du temps est totalement impensée dans cette théorie synthétique.

 

Celle-ci ne voit la succession des espèces que comme des séquences accidentelles et non reproductibles, une suite sans logique fondatrice, dénuée de profondeur temporelle et de sens, sans autre lien de causalité que des erreurs de mutations génétiques, aveuglément compilées les unes sur les autres, dont la sélection naturelle départage les avantages et les défauts : « Un abîme de connaissances scientifiques sépare le néo-darwinisme et les sciences du temps en biologie moléculaire. La sélection naturelle n'est pas une découverte scientifique, c'est un concept » (Anne Dambricourt Malassé).

 

Répugnance néodarwinienne pour tout ce qui ressemblerait à une sublime et immuable continuité, se déployant avec sens et cohérence depuis le fond des âges, par-delà les aléas ponctuels et locaux de la nature. Tout ça sentirait trop le plan divin.

 

Les scientifiques qui observent sur la très longue durée des attracteurs harmoniques, une thermodynamique organisée et une flèche du temps interne et mise en mémoire, deviennent en cela automatiquement suspects de créationnisme, de vitalisme, de finalisme ou autres gros mots, par les gardiens de la doctrine néodarwinienne. Ceux-ci sont tellement obsédés par le religieux, que toute sortie du cadre dogmatique, tout voile levé sur la destinée cosmique d’Homo sapiens, donc toute possibilité d’enrichissement de la connaissance et du questionnement, subit l’opprobre immédiate.

 

Dans la mesure où ils ébranlent le dogme néo-darwinien, des constats strictement empiriques, vérifiés et incontestables, sont rangés dans la case infâmante des présupposés religieux irrationnels, pour l’unique raison qu’ils révèlent une loi macro-évolutive et un sens à l’œuvre qui, suprême blasphème, peut réintroduire en filigrane le problème d’un but et d’une finalité : « Les phylogenèses phénoménologiques qui partent des faits et qui restituent une logique sous-jacente sont dénoncées comme de pures interprétations métaphysiques, elles sont soupçonnées de véhiculer une cryptométaphysique, mais c'est une réalité contraire qui jaillit. C'est la démarche hypothético-déductive qui pose comme prémisse une logique mécaniciste excluant d’emblée la possibilité d'une singularité évolutive non pas seulement en l'Homme, mais bien plus, dans les fondements des règles structurantes. Or ces prémisses s'avèrent contraires à la réalité accessible à l'observation. »

 

Tuer dans l’œuf la question du sens et de la conscience

 

 

Dans son livre, La légende maudite du XXème siècle, Anne Dambricourt Malassé est revenue sur les véritables calomnies dont sa recherche a été la cible et objet d’une « destruction planifiée ».

 

Après que sa découverte retentissante fut présentée dès 1989 dans des congrès internationaux et dans plusieurs publications, ses travaux connaissent un important écho médiatique au milieu des années 1990.

 

Mais face à cette curiosité du grand public pour sa thèse, elle constate vite que s’organise dans l’ombre une riposte où s’entremêlent le mensonge, l’intimidation, le déni et le profond mépris du débat scientifique.

 

Son invitation en 1996 par Yves Coppens au collège de France pour y expliquer les correspondances et divergences entre sa thèse et celle de la courbe de complexité/conscience croissante du paléontologue chrétien Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), est vue comme une intolérable intrusion de la pensée mystique sous les toits du collège.

 

Point de différence faite entre la christologie de Teilhard et son savoir paléontologique mondialement reconnu : les invectives pleuvent et Pascal Picq somme Yves Coppens de choisir son camp entre Darwin et Teilhard.

 

Les associations en lutte contre les religions se déchaînent à leur tour, et la censure idéologique se met en place dans les médias (Nouvel Obs, Sciences et Vie, Le Monde, etc…) contre Anne Dambricourt Malassé et sa thèse, dans l’acharnement à ne pas prendre en considération tout ce qui atteste de son crédit scientifique : « les protocoles innovants, les mesures, les statistiques, les congrès, les articles dans des revues à comité de lecture, la diffusion internationale, et tout cela dans le mépris le plus total des avis officiels avalidés par le CNRS bien plus qualifiés que les chercheurs recrutés pour l’occasion ».

La campagne de dénigrement atteint son paroxysme en 2005, au moment de la diffusion du film-documentaire de Thomas Johnson, Homo sapiens, une nouvelle histoire de l'homme, largement consacré à la découverte d'Anne Dambricourt Malassé.

 

Cet obscurantisme à l'oeuvre traduisait une volonté manifeste « d’empêcher toute recherche sur la signification de l’émergence de la conscience et de son autoréflexion toujours plus étendue au cours de l’hominisation ».

 

Les constats strictement empiriques d’Anne Dambricourt Malassé sont en l’occurrence une chose, son rapport à Dieu et à la religion, nous semble-t-il assez ambivalent, une tout autre.

 

Elle a plusieurs fois décrit son ressentiment, voir sa franche hostilité, à l’égard de son catholicisme d’origine et l’agnosticisme qui était résolument le sien au moment de ses travaux initiaux.

 

Nulle quête d’un plan divin, invisiblement caché derrière les rotations du sphénoïde. Elle le dit sans ambages, ça n’était ni son problème ni la motivation de sa recherche.

 

Pour autant, elle pose en toute liberté la question : que devient l’esprit et la soif de découverte scientifique, sinon clôture de l’intelligence humaine, si elle n’ouvre pas une relation vers une transcendance qui nous dépasse, un mystère qui attire irrésistiblement l’homme, quel que soit le nom qu’on lui donne et le visage divin qu’on lui reconnaisse ou non ?

 

La thèse parfaitement scientifique d’Anne Dambricourt Malassé ouvre précisément vers un horizon de questions, si profondément propres à l’homme, quant à notre origine spirituelle et au sens de notre vocation cosmique : « être athée ne signifie pas renoncer à ce fil conducteur qui est le mien : le sens de ma vie se trouve dans l’altérité, et non dans l’objectivité. Il se révèle dans les expériences personnelles, et d’Être à Être. »

 

Halte là ! Dans le milieu du scientisme à courte vue, soit on « fait le jeu » du créationnisme soit on roule pour l’athéisme. Si l’esprit totalitaire se reconnaît à la perte de tout sens du discernement, alors on n’est pas loin du compte.

 

Que sa thèse, sa démarche et sa réflexion échappent à cette binarité enfermante et qu’elle suscite au contraire un fourmillement de questions nouvelles, semblait insupportable à ce milieu, fort soucieux de sa mainmise sur les catégories recevables du savoir.

 

Et que cette découverte majeure sur l'évolution de la posture humaine ait été faite par une femme, et que ce fait même n’y soit sans doute pas étranger, a peut-être un tantinet piqué dans son orgueil et ses prérogatives la haute patriarchie paléontologique.

 

Autant de facteurs et de ressorts, inavouables bien entendu, qui ont enclenché la mécanique du déni orchestré, dont ses travaux et sa personne, furent la cible : « Tuer dans l’œuf toute nouvelle symbolique du sens qui nous relie corps et conscience à l’histoire de la vie terrestre et de l’univers (…) La mort de Dieu, ou la mort de l’Homme, relève de la même tragédie terrestre, et cette mort reste une légende. Elle est maudite puisqu’elle a pour conséquence la disparition dramatique de toute symbolique censée nous relier corps et conscience à la genèse de l’univers et à son histoire interne jusqu’à la biosphère."

 

Un déchaînement du mensonge et de la calomnie, pour sauver les vieux meubles d’une théorie néo-darwinienne en perdition.

 

 

Une épée de Damoclès nucléaire

Sur 4 milliards d’années d’évolution

Songe-t-on seulement que rester intellectuellement esclaves de ce mode de représentation de l’évolution, aussi empiriquement erroné que métaphysiquement désespérant, relèverait pour notre humanité d’une inconscience suicidaire ?

 

Dans l’épilogue de son texte prophétique Paysages mentaux des racines évolutives humaines, Anne Dambricourt Malassé nous conduit à une question vertigineuse mais incontournable. Cette question engage dramatiquement toute notre conscience et notre responsabilité : parviendrons-nous à nous extraire de l’ornière mortelle du hasard et à nous réinscrire, en pensée et en acte, dans cette profondeur de sens de l’évolution de l’homme et du vivant terrestre?

 

Les découvertes scientifiques nous le disent avec toujours plus de netteté : l’évolution de l’humanité est toujours en cours, elle s’inscrit dans une durée immensément longue, impulsée par une mémoire interne qui en oriente le sens : « La phylogenèse qui se dégage a quelque chose d'une gestation et c'est troublant. (…) Nous ne sommes plus suspendus dans un Vide atemporel où il ne se passe rien d'autre que des événements aléatoires qui se conditionnent mais n'ont aucune mémoire vis-à-vis d'eux-mêmes. »

 

La Raison triomphante, qui se croit « émancipée » de toute mémoire et de toute attente, se mue en une forme de folie : « La volonté de s'affranchir d'une grande dérive qui engendre l'humain et le contient aboutit à une aporie désespérante (…) Ôter aux hommes le Sens de leur existence qui passe par une attente et un sentiment d'harmonie avec l'Univers et sa Terre et non le sentiment d'abandon et de chaos, c'est procéder à une dénaturation de la condition humaine cosmogénique.»

 

La catastrophe anthropo-écologique planétaire est l'expression de ce hiatus entre notre condition macro-évolutive inscrite dans la durée cosmogénique et son déni en l’image absurde de notre évolution hasardeuse, dont nous ne parvenons que trop lentement à nous affranchir.

 

Les conséquences de cette tragique inconscience sont incalculables : « L'éradication de 4 milliards d'années d'évolutions terrestres en champignons nucléaires mortels n'est pas la mort d'une étoile. C'est plus profond. La responsabilité est un phénomène cosmogénique aussi.»

 

Qu’est-ce qui empêche de réduire l’homme, l’animal et les plantes à de la simple matière première exploitable et rentable, si cette longue lignée des vivants ne résulte de rien d'autre que d’un processus évolutif aveugle et mécanique, et si aucune dignité transcendante ne la fonde ?

 

Si l’humain n’est qu’un amas d'atomes et de cellules, chaotiquement organisés au terme d’une évolution aléatoire et sans mémoire, autant donc laisser les mains libres aux ingénieux docteurs folamour, manipulateurs de génomes, reconfigurateurs de vie synthétique et d’intelligence artificielle, en roue libre dans l’élan sans limites de leur délire prométhéen. A Pfizer and co, notre banale matière expérimentale.

Au nom de quoi entraver leurs projets eugénistes, leurs fantasmes d'immortalité et de perfection transhumaine ?

 

Si femmes et hommes errent par hasard et sans but dans une froide immensité cosmique vide d’amour et d’altérité, alors finissons en une bonne fois pour toutes, asseyons-nous le cul devant notre télé et regardons sans broncher le spectacle de leur anéantissement final sous le feu nucléaire.

Qu'y aurait-il d'autre à contempler que l' aboutissement accidentel et sans conséquences de leur existence absurde ?

 

Survivrons-nous à la perte de mémoire, de sens et d’espérance, induite en les pensées du hasard et du chaos ?

Quel autre fruit que le mépris de l’homme pour lui-même et pour toute vie ont-elles porté ?

 

L’homme est malade de son oubli. L’homme est pécheur disent les chrétiens. Certes oui.

 

Mais si l’on observe les mouvements contradictoires de sa conscience et les conflits concrets de son histoire en cours, peut-on s’en tenir à ce seul niveau de généralité ?

En d'autres termes, ne s'agit-il pas aussi, en un certain point, de poser le problème de l'évolution de l'homme et du choix vital devant lequel il nous place, dans sa pleine et concrète inscription politique ?

 

Anne Dambricourt Malassé ne se prononce certes pas à ce sujet. Mais peut-on vraiment l'éluder ?

 

Quels hommes, beaucoup plus que d’autres, dans la folie nihiliste de leur déni, s’acharnent à piétiner toute question susceptible de raviver notre mémoire évolutive, déterminés à entraîner avec eux l’humanité entière dans leur course au néant ?

 

Quelles idéologies et quelles puissantes structures établies (militaires, politiques, capitalistes, techno-scientistes ou autres) sont les rampes de lancement de ce suicide collectif ?

 

Quels hommes, plus que d’autres, quelles pensées nouvelles, quels poètes et contemplatifs solitaires, quels mouvements collectifs populaires, travaillent quant à eux, par expériences concrètes et par tâtonnements de la pensée, à retrouver la mémoire, le sens et la responsabilité de notre humanité ?

 

 

SL

       

 

Principaux documents utilisés :

 

https://www.annedambricourt.com/ (site d’ADM : abondantes données biographiques, concernant son parcours personnel, académique et intellectuel, et la description des étapes de ses recherches.)

 

https://hnhp.mnhn.fr/fr/annuaire/anne-dambricourt-malasse-6805 (Complément descriptif de ses travaux et réflexions)

 

https://www.youtube.com/watch?v=Amb_E-k3rac (Le film documentaire de Thomas Johnson Homo sapiens, une nouvelle histoire de l’homme diffusé sur Arte en octobre 2005. Il présente les travaux d’ADM. Le « débat » organisé à la suite du documentaire par Arte, ne vise qu’à discréditer sa thèse).

 

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/une-nouvelle-theorie-scientifique-6003 (Un entretien dans la seconde partie duquel ADM clarifie plusieurs points sur les soupçons de religiosité accolés à ses travaux et à sa découverte : créationnisme, intelligent design, Teilhard de Chardin…)

 

https://www.istegroup.com/wp-content/uploads/2022/04/844_Embryogenese-et-phylogenese-de-la-posture-humaine-2_Avant-propos.pdf (Avant-propos de son livre Embryogénèse et phylogénèse de la posture humaine)

 

http://jdautricourt.free.fr/anne_dambricourt.html (Paysages mentaux des racines évolutives humaines)

Anne-Dambricourt-Malasse.jpg

Photo Louis Monier (©)  

Documentaire Homo sapiens, une nouvelle histoire de l’homme,  Thomas Johnson,  octobre 2005

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