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Pour une écologie populaire 

L'entraide naturelle, main invisible de l'évolution

(Première partie)

Pour une écologie populaire 

L'entraide naturelle, main invisible de l'évolution

(Première partie)

- Par Anne Josnin -

 

 

Le libéralisme s’est traduit par un asservissement sans précédent des sociétés humaines.

Cela n’a pu être possible que par une campagne permanente, que dis-je une guerre psychologique totale, ayant pour but unique de détourner le peuple de ce qu’on lui dérobait, à savoir toutes ses vertus.

Mais quelles vertus dites-moi ?

D’abord on s’est évertué à le persuader que de vertu il n’en avait point, ou plus exactement que les vertus n’existent pas, et même que c’était cela être moderne : reconnaître que seules les lois mécaniques, puis physico-chimiques, expliquent nos comportements. Et dans le même temps, on s’en allait pourchasser jusque dans l’intimité du lit conjugal toute trace de vertu, pour la dérober et en faire ensuite propriété industrielle.

 

Jamais homme ne s’est regardé comme davantage libre, quand ce qu’il prend pour son image est hologramme que nous balancent les industries à grands coups de propagande.

Jamais homme n’a été aussi profondément asservi.

 

Mais de quelles vertus parlons-nous ? N’a-t-on pas instruit le peuple comme jamais, l’élevant jusqu’au « bac pour tous » ? Ne lui a-t-on pas offert la libération des tâches serviles, machines à laver, repas préparés, chaleur et lumière juste en appuyant sur un bouton, les kilomètres avalés sans effort physique, afin qu’il puisse s’adonner à des occupations autrement plus nobles ? Ne participe-t-il pas à sa propre destinée pour la première fois dans l’histoire occidentale, par la vie politique, ses représentants tirés de son sein, élus par lui ?

Je prétends qu’on l’a distrait avec des bibelots tandis qu’on lui dérobait son héritage.

Mais qui ? Et pourquoi ? Ceux-là mêmes qui, enviant les richesses du peuple (dont il ne sait tirer profit trébuchant,  peuple qui ignore sa vraie valeur, qui méprise les puissances d’argent) ces envieux qui ont voulu louer à prix d’or au peuple ce qu’ils venaient de lui voler, ses vertus maquillées, prostituées, travesties en  produits de consommation.  Ce que nous avons fait aux Amérindiens, aux Africains,  il est temps de voir que nous l’avons aussi fait chez nous. Le colonialisme est d’abord intra occidental. Peut-être même au fond y a-t-il toujours cette guerre fratricide, Caïn jaloux de la vertu d’Abel ? Allez savoir pourquoi, le solitaire qui a tout regarde toujours avec jalousie celui qui ne possède rien si ce n’est la vie en partage.

 

Mais enfin quelles vertus, parbleu ?

Celles dont témoignent,  pour nous intellectuels  malvoyants, des  Tolstoï, Kropotkine,  Gandhi,  Illich, Levy Strauss,  Dominique Lapierre, Yunus...  Celles dont la presse locale malgré elle rend compte quand cela se traduit par des faits notables.

Celles-là mêmes que nos révolutionnaires patentés, bourgeois avides de s’approprier les privilèges de la noblesse et du clergé, ont sciemment dissimulées, à commencer par Voltaire, en se faisant notamment le persécuteur de Rousseau, qu’il fallait à tous prix décrédibiliser,  lui et son bon sauvage, (ce en quoi l’Eglise s’est faite la grande complice de l’anticlérical de Ferney). L’homme est mauvais par nature, sa pauvreté en est la marque indélébile, et hors le salut par l’Eglise, par l’Etat, le Progrès et le libéralisme, il est condamné à sa fange bestiale.

 

Et pourtant…

 

« A partir des mouvements populaires, vous assumez des activités de toujours, motivés par l'amour fraternel qui se révèle contre l'injustice sociale. Quand nous regardons le visage de ceux qui souffrent, le visage du paysan menacé, du travailleur exclu, de l'indigène opprimé, de la famille sans toit, du migrant persécuté, du jeune en chômage, de l'enfant exploité, de la mère qui a perdu son fils dans une fusillade parce que le quartier a été accaparé par le trafic de stupéfiants, du père qui a perdu sa fille parce qu'elle a été soumise à l'esclavage ; quand nous nous rappelons ces ‘‘visages et noms’’, nos entrailles se remuent face à tant de douleur et nous sommes émus …. Car ‘‘nous avons vu et entendu’’, non pas la statistique froide mais les blessures de l'humanité souffrante, nos blessures, notre chair. Cela est très différent de la théorisation abstraite ou de l'indignation élégante. Cela nous émeut, nous fait bouger et nous cherchons l'autre pour bouger ensemble. Cette émotion faite action communautaire ne se comprend pas uniquement avec la raison : elle a un supplément de sens que seuls comprennent les peuples et qui donne aux vrais mouvements populaires leur mystique particulière. » Pape François à Santa Cruz, le 9 juillet 2015.

 

Il est nécessaire, pour aller à la racine du mal dans lequel nous sommes englués, et la nature avec nous, d’en saisir la révolte intellectuelle qui nous y a menés. Derrière le mépris pour le peuple, il y a celui pour ce qui, en nous, est nature. Voici pourquoi.

 

 

 

 

Première Partie : Le peuple est porteur privilégié

de la vertu naturelle de l’entraide

 

 

 

 

Préambule

 

La nature est le nom donné à la grâce faite animal. 
Elle est donc aussi, mais selon ses modalités propres, le lieu où s'exprime la liberté des enfants de Dieu. Elle ne peut-être le lieu d'un déterminisme dirigiste, ou pour dire ce qui est, car les chrétiens ont trop souvent encore une vision scolastique de la nature, du fixisme.

C'est d'ailleurs selon cette approche de la nature qu'il faut comprendre la loi naturelle (la notion de droit naturel, qui nous vient des penseurs libéraux, n'est pas présente chez Aristote, qui ne parle que de loi naturelle, c'est-à-dire non écrite, l'écriture étant une inculturation-limitation de celle-ci,  loi qui nous vient du dedans, inscrite à l'intime de chacun par le divin, comme on en trouve illustration avec Antigone).

Ainsi donc, ma nature féminine ne m'enferme pas dans un rôle pré-déterminé dans la société, dans mes relations aux hommes, aux enfants, dans mes aptitudes et ma sensibilité, mais elle est la modalité selon laquelle je peux m'épanouir en pleine liberté. Certes il y a une part de déterminé: ces déterminations constituant le socle, la matière d'où je vais m'inventer, ne s'opposent pas à ma liberté mais la rendent possible. Par contre, dès lors que j'affirme qu'en raison de mon caractère féminin, je ne peux par exemple exercer un métier, vivre sans protection masculine,....je suis dans une vision fixiste de ma nature.

Comme la nature est en perpétuelle évolution, même si à notre échelle, avec nos instruments d'observation, cela est parfois imperceptible, il n'y a jamais eu de nature figée d'aucune espèce. Toute définition réifiante des êtres naturels est au mieux un instantané non  nécessairement vérifié ailleurs non plus à  d'autres époques, au pire une chimère. Le fixisme est donc cette théorie erronée qui consiste soit à figer et universaliser un instantané, soit à créer une chimère. Chacun "fixant" (définissant) alors selon ses intérêts, conscients ou non.

Par exemple toujours, la femme inférieure de l'homme, l'enfant petit animal à dresser, l'animal mécanique sans âme.

 

Oui, mais la nature humaine se distingue fondamentalement de la nature animale, l’homme seul étant une créature spirituelle, dit-on.

 

C’est faux en ce sens que dès lors qu’il y a vie, il y a âme. Certes l’âme végétative de la plante n’a pas toutes les facultés de l’âme sensitive de l’animal, qui n’a pas toutes les facultés de l’âme humaine. Certes chacune des facultés de l’âme humaine est marquée du sceau de l’humanité, depuis la faculté à croître physiquement jusqu’à celle de choisir en liberté.

 

Mais en quoi consiste ce propre de l’homme ? Si l’on suit ce que nous montre Bergson,  à l’homme revient la mission de mener à son but ce vers quoi tend depuis ses origines la vie : la réalisation par soi d’un être pleinement original et unique, dont il voit illustration chez le saint et le héros, pour la joie du monde.  Il y a donc continuité dans le mouvement de la nature, même si celle-ci progresse par paliers, et c’est bien au final l’ensemble de la nature qui est glorifiée, non un être singulier.

 

Si l’on médite sur ce que nous dit la Bible, on voit que c’est bien toujours Dieu qui crée. Pour les animaux, comme pour toutes les autres créatures, c’est par sa Parole qu’Il communique l’être : Dieu dit, et cela est.

 

Pour l’homme la modalité est différente. D’une part Dieu prend un matériau naturel, ce qui va dans le sens, plus encore que de la continuité, d’une reprise en profondeur, par le travail de l’artisan-artiste, des potentialités de la nature, pour lui donner un sens non encore exploité, (ars imitatur naturam), la nature en matériau pour un Dieu potier. D’autre part ce n’est plus la parole qui crée, mais la main qui façonne : en l’homme se rejoignent à l’intime de la matière, par le travail de modelage, l’empreinte divine et les aspirations (potentialités) de la nature retravaillée. Il en est de l’homme dans son rapport à  l’animal comme du pain dans son rapport au blé. Re-création sans dénaturation, mais au contraire les vertus naturelles exaltées par le travail,  pour la faim du monde. Pour résumer on peut dire que la nature  humaine est la nature animale exaltée par le travail du Créateur.

De cela il découle que la grandeur de l’homme n’est pas de son propre mérite, mais cadeau divin pour une mission particulière au sein de la Création. Il ne peut en tirer orgueil, mais cela lui donne une responsabilité particulière au sein de la Création.

C’est  tout cela,  cette conscience que la vie est traversée du divin au cœur de la matière, cette matière inerte qui à l’appel se lève en désir d’être,  oh gémissement de cette faim de Dieu ! qu’il  fallait à tous prix taire en l’humanité en la plongeant en immanence artificielle.

 

L’homme passe infiniment l’homme : c’est là non une donnée de foi, mais une loi naturelle, vérifiée déjà dans le règne animal. L’animal, que dis-je les récentes découvertes scientifiques, nous montrent que toute vie est dépassement de soi.

 

Depuis le premier vivant unicellulaire,  ce qui caractérise  la vie est sa capacité à échanger avec le monde environnant de façon à croître et acquérir de nouvelles aptitudes. Or contrairement à ce que l’on a tendance à penser, ce n’est pas un égoïsme smithien d’intérêt bien compris qui anime notre premier vivant, mais réponse à un appel obscur, qui  le dépasse et pourtant sourd à l’intime, voire crée cet intime si mystérieux, à croître et se multiplier.

 

1- Où Kropotkine a raison face à Darwin.

 

Notre vision du vivant est profondément faussée par le darwinisme, cette théorie ad hoc qui prétend asseoir scientifiquement La fable des abeilles de Mandeville. Oui, on croit benoîtement que les individus agissent comme les mènent leurs vices, chacun pour soi et la main invisible  pour tous, tout au long du processus de l ‘évolution dont la modernité serait l’état rationnel de l’ère anthropologique,  le progrès comme forme éclairée de la nécessité.

Or ce n’est pas ce que nous montrent les récentes découvertes scientifiques, qui au contraire semblent rejoindre ces récits traditionnels que nous avions jetés aux oubliettes par hygiénisme mental.

Ce que déjà Kropotkine professe en homme de science prophétique,  la biologie comme l’éthologie nous en apportent tous les jours de nouvelles preuves, et nous en révèlent de nouveaux aspects souvent insoupçonnés.

Réfutant Darwin dans L’entraide, un facteur de l’évolution, il nous dresse un historique de l’évolution humaine qui met en évidence la tendance naturelle des hommes, déjà présente dans le monde animal, de l’association comme mode  d’être non calculé, mais mu par la sympathie et l’esprit d’entraide. Il nous montre comme l’héroïsme n’est pas l’exception qui confirme la règle, mais que, lorsqu’un autre humain est en danger, l’appel résonne en chacun, qui nous pousse à mettre nos propres vies en danger, quand bien-même il y a très peu d’espoir de réussite. Si les hommes plus « éduqués » opposent à ce sentiment universel la raison bien comprise et restent spectateurs distraits de la souffrance de leurs contemporains, le peuple des humbles le suit naturellement, tout en reconnaissant que cela le dépasse : «  je lui demandai comment ils étaient arrivés à faire cet effort désespéré : « Je ne le sais pas moi-même » nous raconte-t-il à propos d’une tentative désespérée de sauvetage en mer. Ce « je ne le sais pas moi-même » rejoint ici l’ignorance du sage, depuis Socrate offrant sa vie pour ces ingrats d’Athéniens, jusqu’à Montaigne qui met face à qui lui demande de justifier son amitié unique pour La Boétie cette non-réponse : «parce que c’était lui, parce que c’était moi». L’homme est spectateur de cela qui le dépasse en lui et peut le mener, si la situation l’exige, jusqu’à l’héroïsme. Kropotkine nous montre pourquoi ce moteur de l’évolution est méconnu : il ne rentre pas dans la sphère des calculs intéressés mais est de l’ordre de la gratuité impensée. Oui, pour lui la seule main invisible, c’est l’entraide. ( cf p50-51, L'entraide, un facteur de l'évolution, Editions du Sextant, 2010).

Une autre raison touche directement la catholique ex-monarchiste que je suis : cette ignorance de la cause réelle de l’évolution vient de cette conspiration de fait entre l’Eglise et l’Etat qui, chacun pour des raisons propres, se sont acharnées à détruire toute association d’initiative populaire pour s’en arroger le monopole. L’histoire est écrite par ceux-là qui nient au peuple tout droit à s’associer, puisque ce ne peut-être, hors du Salut chrétien ou du Salut Public, que société de brigands. Donc tout progrès en humanité est nécessairement, selon les points de vue autorisés, œuvre d’Eglise ou d’Etat, résultat d’une centralisation toujours plus invasive. Non d’associations d’initiative populaire.

On ne peut en vouloir à Kropotkine d’ignorer le principe de subsidiarité, qui sera développé bien plus tard par l’Eglise, pour couper définitivement court à toute défiance des dirigeants, religieux comme laïcs, vis-à-vis des initiatives populaires. La séparation de l’Eglise et de l’Etat sera passée par là, ouvrant les yeux du clergé sur les qualités d’un peuple que par la force des choses il ne peut plus contrôler.

Par contre on a du mal à comprendre que des catholiques d’aujourd’hui n’accordent de crédit qu’à des sociétés, associations, initiatives labellisées cathos, ayant reçu bénédiction officielle de monsignores, professant la  seule bonne doctrine,  et tirent à boulet rouge sur des initiatives similaires mais organisées par des gens non-croyants, ou pire de sensibilité communiste, anticléricale ou écologiste. Ainsi le secours populaire ou les restos du cœur seraient nécessairement des œuvres corrompues, tandis qu’une association  qui arbore les valeurs chrétiennes et porte en bas de tract la signature d’un évêque  nécessairement œuvre divine.

 

2- Cette pratique de l’entraide s’étend à l’ensemble des vivants.

 

Si Kropotkine ne développe pas autant d’arguments pour le monde animal que pour l’homme, sans doute par manque d’éléments scientifiques, aujourd’hui nous en disposons à foison.

Comme beaucoup d’entre nous sommes encore pollués par les aprioris scientistes (il n’est de vérités qu’estampillées scientifiques), je vais apporter quelques arguments scientifiques.

 

- Dans le règne végétal.

Voyons ce que nous dit par exemple le  biologiste, pharmacien, botaniste et écologue Jean-Marie Pelt. (Les langages secrets de la nature).

Les végétaux sont sensibles aux agressions, y réagissent, et communiquent entre eux, notamment par des émanations d’hormones, sous forme de gaz. Ainsi  les acacias qui, après s’être laissés prélever une part de leur feuillage par les antilopes, sécrètent des tanins qui le rendent indigeste, et communiquent entre eux par émanation d’éthylène afin que tous alentour acidifient leur feuillage, obligeant les troupeaux à aller chercher plus loin leur nourriture. Non seulement il y a une solidarité entre végétaux de même espèce, mais en laissant une part de leur feuillage comestible, les acacias « acceptent », de participer à l’équilibre global de leur milieu, en nourrissant les antilopes.

Les travaux sur les écosystèmes nous en apprennent tous les jours davantage sur la solidarité qui lie de mille et une manières subtiles, dynamiques, l’ensemble des espèces d’un lieu topologique, puis les lieux les uns aux autres, ce que les scientifiques appellent transferts en cascade, ou  cascade trophique,( si bien que l’on peut se demander si l’effet papillon,  que l’on croyait exception amusante pour l’esprit scientifique, ne serait pas  un des leviers  le plus puissants, ou pour réajuster l’ensemble de la planète,  ou au contraire la détruire).  Ce que nous montre par exemple la réintroduction du loup dans le parc de Yellowstone, allant par ricochets  jusqu’à modifier le cours des rivières, après avoir revivifié tous les maillons de la chaîne alimentaire. Ce que l’on y voit, c’est que si la propension d’une espèce à se développer n’est pas modérée par la présence d’une autre qui prélève sa part (et juste sa part), c’est l’ensemble de l’écosystème qui souffre et s’appauvrit, et donc aussi l’espèce qui a involontairement déclenché le processus destructeur, ici de pacifiques cerfs.

 

- Dans le règne animal.

L’éthologie nous en apprend tous les jours sur les stratégies d’entraide  que développent non seulement les individus d’une même espèce, mais aussi des individus d’espèce différentes, voire adverses. Les publications d’une Vinciane Despret, d’un Boris Cyrulnick, pour ne citer qu’eux, rendent compte de la sensibilité animale, de sa vulnérabilité face à la souffrance, celle d’autrui comme la sienne, d’où son empathie naturelle, même à l’encontre d’animaux d’une autre espèce que la sienne. Plus encore que l’observation à distance ou en laboratoire, le travail d’immersion totale de Shaun Ellis  dans une meute de loups, dans une réserve puis en milieu totalement sauvage, nous en apprend sur la bonté du loup, sa patience dans son travail d’éducation, son aptitude à adopter un être humain en souffrance, à le nourrir, protéger, à risquer même sa vie pour celui qui, du fait de son inaptitude à chasser, est du point de vue de l’économie de subsistance de la meute, un poids mort. Si nous prêtions davantage attention aux  bêtes, nous serions je crois souvent touchés au  coeur par leur désir de nous venir en aide. Mais nous sommes, par notre orgueil mal placé, de grands distraits vite apeurés.

En paléoanthropologie : les découvertes récentes sur nos très lointains ancêtres de la Préhistoire vont dans le même sens : certains par exemple pouvaient prendre soin d’un membre profondément handicapé, et même lui accorder une place de choix dans le groupe, alors qu’ils vivaient en économie de subsistance, ce que montre la tombe de l’enfant aux bois de cerf.  (voir l’article du Monde du 23 juillet 2014, de Nicolas Constans, sur les découvertes sur le site de Qafzeh, à 2kms de Nazareth, qui rend compte des travaux d’Hélène Coqueuniot, du CNRS). 

Certains scientifiques confortent même la thèse marxiste selon laquelle l’inégalité homme/femme n’existait pas dans les sociétés primitives.**  Nos ancêtres vivant de la chasse et la cueillette avaient développés des relations basées sur la coopération entre égaux, et ce serait avec l’apparition de la propriété que toutes les inégalités seraient apparues, dont la première : l’inégalité sexuelle, les femmes ne pouvant avoir autant d’enfants que des hommes, qui cherchent alors à posséder un maximum de  procréatrices.  Le scientifique Dyble va encore beaucoup plus loin,  puisqu’il fait de cette égalité première un des moteurs de l’humanisation, après le langage et le cerveau social,  qui va nous distinguer des sociétés animales, par l’accumulation/transmission des savoirs échangés :

"Les Chimpanzés sont connus pour avoir une société relativement agressive et dominée par les hommes. Ce qui a pour conséquences qu'ils ne rencontrent pas assez de chimpanzés adultes pour que leurs savoirs soient durables. " (extrait de l’article de l’article du Vif.be, du 18 mai 2015, de Trui Engels)

Si l’on suit son raisonnement, la conséquence est qu’en société inégalitaire et violente, les groupes et sous-groupes se fermant sur eux et communiquant de moins en moins avec les autres, on observe une stagnation du savoir, la société se figeant peu à peu comme on l’observe chez les sociétés animales qui peinent tant à engranger d’une génération sur l’autre les rares progrès effectués par certains de leurs individus ou groupes.

En conclusion si cette pratique de l’entraide s’étend à l’ensemble des vivants, elle reste souvent à l’état de potentiel  chez les plantes et les animaux, qui pour certains apparemment ne l’utilisent qu’en cas de nécessité (les plantes), la pratiquent de manière  « impensée » (dans les éco-systèmes), ou spontanée  (par empathie), sa  finalité première étant sans doute le maintien en équilibre de la planète bleue.  On peut supposer que si elle est présente à tous les niveaux de la vie, c’est aussi parce que, dès les origines, la conscience qui traverse la matière et l’informe jusqu’à l’homme est esprit d’entraide.  Et il semble bien en effet que, chez l’homme, par sa capacité à se projeter dans l’avenir,  l’entraide va devenir le moteur d’une évolution spécifique sans précédent, l’amenant jusqu’au héros et au saint.  Mais cela lui donne aussi une responsabilité particulière au sein de la communauté des vivants, comme gardien de cet esprit d’entraide, entraide qui est bien la clé de la vie sur terre.

 

3- Pourtant elle est malmenée chez l’homme, et d’abord chez l’élite.

 

C’est encore Kropotkine qui nous le montre, mais on  pourrait trouver un constat similaire chez un Tolstoï (Le Royaume est parmi nous par exemple) ou un Thoreau. 

Les riches ne sont pas d’un autre bois que les  pauvres, et il n’est pas question d’opposer l’homme à l’homme. Mais de par leur éducation, leurs mœurs, les riches sont plus dénaturés que les pauvres, si bien qu’ils sont moins sensibles à la pitié et beaucoup moins pratiquants de l’entraide. Ainsi dans les quartiers populaires Kropotkine observe  que « l’entraide est pratiquée à un point dont les classes riches n’ont aucune idée ». A commencer par celle entre les enfants,  les plus âgés, les plus expérimentés veillant sur les plus jeunes, ce qui explique qu’il n’y ait pas plus d’accident. Puis celle des mères entre elles : « Tous ceux qui ont vécu parmi les pauvres le diront. De mille façons les mères se soutiennent les unes les autres et donnent leurs soins à des enfants qui ne sont pas les leurs.» Là où une femme  de classe riche peut passer devant un enfant qui a faim sans  s’arrêter, une mère de classe pauvre ne peut pas  supporter la vue d’un enfant affamé, il faut qu’elle le nourrisse. Et ainsi pour toutes sortes d’entraides, sans lesquelles la classe ouvrière n’aurait pu survivre.

 

Ainsi donc les hommes et les femmes des classes pauvres du temps de l’industrialisation témoignaient de cette entraide naturelle dont est carencée la classe des gens riches. Si cela continue d’être observé dans les pays du Tiers-Monde, ce dont témoignent les bénévoles, ce que raconte par exemple « La Cité de la joie »,  il  n’en est plus de même dans nos pays développés, où le mode de vie bourgeois est devenu référence unique, l’entraide pratique honteuse qui trahit l’impuissance à s’en sortir tout seul, par manque de moyens. Comme j’ai mal quand j’entends des fils d’ouvriers dire « je ne m’abaisserai pas à demander de l’aide », quand ils sont encore toujours prêts à aider autrui, et s’enfoncer tous seuls, parfois jusqu’au suicide! Qui leur a mis en tête qu’avoir besoin les uns des autres était marque honteuse d’infériorité ? L ‘école elle-même, en faisant de l’autonomie du tout-petit une obsession, qui doit savoir mettre son manteau et lacer ses chaussures tout seul dès la maternelle, les humiliations parfois  orchestrées par la maîtresse quand l’un d’eux se fait aider par un camarade « hou le bébé ! », aurait un sérieux examen de conscience à faire. Le mode de vie bourgeois est devenu la norme. Ainsi de l’habitat où le pavillon  individuel bourgeois, invisible depuis la rue derrière ses murs et ses haies, est le modèle unique, tandis que la rue est devenue l’usage exclusif des automobiles (on en vient à faire des procès aux enfants qui jouent au ballon dans leur quartier !) et des gens malhonnêtes (ben voyons). On  a rentré chacun chez soi, les familles recluses, derrière de belles façades, jusqu’à l’asphyxie, le divorce en réflexe de survie. On a volé l’imaginaire du peuple, celui dont Tolkien nous rend nostalgique avec ses villages de Hobbits, pour lui implanter l’idéal en trompe l’oeil de la bourgeoisie.  On comprend le désarroi d’un Yunus face à l’échec, en France, de sa politique de micro-crédits : partout ailleurs les groupes constitués de pauvres demandeurs de prêts fonctionnait, l’entraide permettant à tous, quand le dernier a finit de rembourser, de faire un nouvel emprunt, ici chacun est reparti de son côté avec son argent, et on ne les a plus revu. Chez nous même les pauvres rêvent d’un porte-feuille à la place du cœur.

 

4- Etat (provisoire) des lieux

 

Aussi bien ce qui nous a été inculqué de mille et une manières, cette compétition pour la survie, moteur de l’évolution, moralisée chez les hommes par les seules associations autorisées que sont l’Etat et les Eglises, apparaît de plus en plus comme le mythe fondateur de nos sociétés libérales.  Les sciences,  longtemps manipulées  à leur insu pour fonder en raison cette théorie ad hoc, sont en train de s’en libérer sous la pression de faits concordants qui, eux, ne mentent pas.

Dans le même temps, l’Eglise catholique poursuit sa libération de ce néo-paganisme depuis Vatican II, et les crispations actuelles de groupes de pression en son sein montre qu’elle est en train de passer à la vitesse supérieure. Jamais Pape n’a été aussi proche de toutes les initiatives populaires,  jamais Pape ne s’est autant passé de l’appareil d’Etat qui l’entoure, pour aller directement vers chacun en qui il se donne toute liberté de voir, non le fidèle  à diriger ou l’infidèle à convertir, mais le frère en humanité, l’ami avec qui il souhaite entrer en relation d’entraide. Ne retrouve-t-on pas justement là cette société des premiers chrétiens que Kropotkine louait ? Face à cela, les puissances de ce monde multiplient les attaques comme jamais (d’où les combats au sein même de l’Eglise) pour empêcher à tous prix le peuple de vivre cette entraide qui rendraient inutiles toutes ces superstructures qui nous maintiennent de fait en esclavage. On chasse la gratuité partout, jusque dans l’échange entre voisin de purin d’orties, jusqu’à la pluriséculaire tradition d’hospitalité sur les chemins de Saint Jacques, jusqu’à la maternité avec la GPA.

Les Etats  se font toujours davantage les grand pourvoyeurs des trafiquants d’êtres humains que sont les multinationales. Ils  participent à nous déposséder de l’art de concevoir, (depuis la systématisation de l’hospitalisation de l'accouchement, qui a fait perdre aux femmes des traditions millénaires d’accueil de la vie) leur obsession à tout contrôler rejoignant la voracité des mamonniens, ces  alchimistes du numérique qui désintègrent le moindre atome de matière, en monnaie virtuelle. L’Etat français  envoie les siens sur les navires pirates de type Uber et  dans le même temps attaque tous azimuts les initiatives populaires,  associations de bienfaisance comme Emmaüs, La Croix Rouge, associations sportives comme l’ Embrunman pour travail clandestin. La chasse aux sorcières d’aujourd’hui, celles qui  soignent, celles qui ré-humanisent, sans recherche de bénéfice, bat son plein,  tandis qu’on enfume les masses.

Pour autant l’Eglise n’est pas seule dans son combat sur le terrain: la devance en chemin une multitude d’hommes et de femmes de bonne volonté. Que l’on pense aux Indignés, que l’on croyait avoir enterrés chez nous en Europe,  aux alter mondialistes, aux décroissants et autres zadistes, aux mouvements populaires : partout dans le monde, ils s’organisent chaque jour davantage et, sur les détritus laissés par la société de compétition,  sont en train d’inventer les bases de communautés politiques  nouvelles.  D’où l’appel récent du Pape François  dans son discours magnifique alors qu’il recevait les représentants des mouvements populaires (le 4 novembre 2014) :

« Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Vous sentez le quartier, le peuple, la lutte ! Nous voulons que votre voix qui en général est peu entendue, soit entendue. ( ….) Quel beau changement que de voir les peuples en mouvement, en particulier leurs membres les plus pauvres et les jeunes. Alors, oui, on sent le vent de la promesse qui ravive l’espoir d’un monde meilleur. Mon désir est que ce vent se transforme en un ouragan d’espérance. »

 

 

 

 

(A suivre...)

             

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