Un dominicain apôtre de la décroissance
Décroissance de Dieu, décroissance des hommes
Il y a quelques années encore, le catholicisme français le plus visible, le plus installé et le plus sûr de son savoir (le plus mondain), lorsqu'il croisait sur sa route lisse et rectiligne le mot «décroissance», assénait avec une assurance tranquille ses sentences définitives contre le mauvais objet : extrémisme, gauchisme, utopie irréaliste, anthropophobie malthusianiste, rêverie bucolique d'un retour en arrière (au choix à la bougie, à la marine à voile, au néolithique ou tant qu'à faire, dans les cavernes)...
Cette litanie de tartes à la crème se concentrait finalement en une formule magique qui réglait le problème et rassurait à peu de frais tout ce beau monde : la décroissance, c'est pas chrétien!
Vous vous souvenez?
Depuis lors, de l'eau a coulé sous les pontes. Quelques personnalités et groupes chrétiens marginaux ouvrèrent quelques brèches dans cette muraille de suffisance. Surtout, à la face de l'humanité entière, une encyclique papale déclencha un véritable séisme culturel en inscrivant à jamais le mot honni dans le marbre magistériel. Et puis, tout simplement, le feu du réel commença de faire fondre jusqu'aux plus épais des faux-semblants.
La décroissance c'est pas chrétien. A part trois ou quatre trentenaires déjà en voie de notabilisation dans la cathosphère à papa, quasiment plus personne n'ose encore proférer ouvertement une telle ânerie. Mieux vaut se taire. Non seulement on ne le dit (presque) plus, mais on dit très précisément le contraire : quoi de plus chrétien que la décroissance?!
Exemple significatif de cet assez brusque et salutaire renversement en cours, ce petit billet, d'une clarté limpide, intitulé «Vive la décroissance!», que le frère dominicain Hervé Ponsot publiait il y a quelques semaines sur son blog d'exégèse biblique.
Ce texte contraste singulièrement avec tous ces tours de passe-passe sémantiques auxquels on a trop été habitués sous l'influence écoeurante des milieux d'affaires dans le catholicisme français, et ses experts doucereux en anesthésie de la foi catholique, qui tentèrent, non sans succès, d'induire une désastreuse confusion mentale entre le mystère de la fécondité de nos vies en Dieu et ce concept gras et épais de croissance du PIB, dont le journal La Croix (!) ne rate jamais une occasion d'en rappeller l'impérieuse nécessité, jusqu'à un point d'outrance nauséeuse.
A contrario, Hervé Ponsot pose d'emblée : entre le règne de Dieu et celui de l'argent, il y a bien antinomie radicale. Il relève la dimension prophétique de cette idée de décroissance, explicitement faite sienne par le pape François dans son encyclique Laudato Si.
Ce qui fait la force de ce petit texte, c'est qu'il ne se contente pas de l'argumentaire habituel et bien rodé sur les limites des ressources naturelles de la planète, mais vise à inscrire son appel à la décroissance en l'enracinant d'abord dans toute son exigence théologique, on en aurait envie de dire dans toute sa simplicité biblique, de laquelle découle toutes ses implications anthropologiques, économiques et politiques.
La décroissance nous bouscule entièrement car dit-il, elle renvoie au cœur même du mystère chrétien, tel qu'exprimé en cette parole évangélique : «Jésus, de riche qu’il était, s’est fait pauvre»... ou encore «il faut que Jésus croisse et que moi je diminue». Partout où dans nos vies individuelles et collectives, sous une forme ou une autre, il y a renoncement, appauvrissement ou abaissement, il y a ouverture d'une faille par laquelle est potentiellement rétablie notre plus haut titre de dignité et de grandeur humaine, celui de vivre en enfants de Dieu, en frères de Jésus.
Là où l'on rend les armes, la grâce abonde. Renoncer à cette furieuse mythologie de l'accumulation capitaliste et matérialiste (décroître), c'est fendre une chape de plomb et laisser place à un vide salvateur, c'est désensevelir dès ici bas le trésor caché du Royaume des cieux, pour laisser le levain transformer toute la pâte. C'est d'abord en cela que la décroissance est profondément chrétienne.
Renonçons à l'attitude surplombante de la domination et à cette superbe qu'on enseigne en école de commerce. Renonçons à l'orgueil infantile de notre auto-glorification pour grandir en adultes dans la seule humilité du Christ : «Il est peut-être là le mystère révélé dans l’encyclique».
En cela dit Hervé Ponsot, par le désencombrement matériel qu'elle induit, par son éthique de la non-puissance qui fait place à la vie et à la relation, la décroissance est signe du Seigneur d'une prédisposition humaine retrouvée à la relation à Dieu, non ce tyran fantasmé, mais ce Dieu fait homme qui s'abaisse à nos pieds pour nous révéler à notre pleine humanité. Déjà la mystique juive du Tsimtsoum invitait l'homme à faire retrait, à l'image de Dieu s'étant retiré en lui-même pour la Création du monde, pour laisser la place à l'Autre. Par amour du monde et des hommes, Dieu s'est fait décroissant!
Hervé Ponsot fait donc naturellement converger l'esprit de pauvreté évangélique et les intuitions de la décroissance : «L’humilité, la pauvreté, le respect des autres et de la création sont les maîtres-mots du monde divin comme de la décroissance».
Voilà quelques vérités aussi simples que profondes, qui posent quelques fondements d'une théologie de la décroissance. Je les lis personnellement avec d'autant plus de joie qu'elles rejoignent l'intuition qui s'était imposée à moi dans le prolongement de ma conversion il y a une quinzaine d'années. La grâce de la foi m'a ouverte aux prophètes de la décroissance.
SL
Le texte d'Hervé Ponsot : ici
