Neuvaine du 15 août 2019.

 

 

 

 

La planète flambe. La vie s’effondre dans les océans où s’écroulent en fracas glaçants les cadavres de nos banquises. Les forêts sont fauchées comme fétus de paille par des moissonneuses à fric,  le sang de leurs habitants giclant sur des lames rotatives que rien n’arrête : autochtones, orangs outans, défenseurs des pauvres comme de la planète, leurs sangs mêlés nous rappelant trop tard que nous sommes tous de cette même procession du vivant depuis la nuit des temps. En Asie on presse jusqu’à la mort par épuisement l’ouvrier esclave dans son hangar pour des containers de vêtements inutiles et de smartphones heavy used. En Afrique on donne des armes à ceux qui ont faim après qu’on leur ait volé leurs terres nourricières. En Amérique, en Inde, on les parque sur nos montagnes de détritus toxiques. Ou bien on les douche  généreusement de pesticides à tête de mort dans des camps à ciel ouvert. Arbeit macht frei.  En Europe on criminalise le pauvre dont le reliquat de système social ne remboursera plus que l’euthanasie. Et la fabrique de l’enfant parfait, parce que vous êtes une putain de génération ratée et que faudrait pas que vos gosses soient aussi fâcheusement improductifs et râleurs que vous.

 

En Amérique du Sud des catholiques se battent et meurent avec le peuple. A Hong Kong les révoltés sous la houlette de leur évêque chantent alléluia devant une police de répression aux ordres de Pékin.

 

Et chez nous ?

 

On continue d’enseigner la gentillesse, la molle poignée de mains et la bise de paix dans les paroisses et les aumôneries.

Judas aussi maîtrisait le baiser.

On continue de répondre avec déférence aux invitations officielles, sans jugement sur les étiquettes…des riches.

Judas aussi comprenait  les attentes des notables qui avaient son oreille apostolique. Il savait d’ailleurs discourir comme eux : la main sur le cœur ! Ainsi pour fustiger une prostituée qui, après avoir vendu ses charmes, au lieu de lui confier son argent pour qu’il le redistribue à ses pauvres, l’avait fait s’évaporer inutilement en parfum précieux aux pieds d’un Jésus décidément incapable de gérer seul sa carrière comme ses relations mondaines… Gérer sa carrière, ah, … quand un prêtre décrit sa mission en disant qu’il forme des cadres autant que des saints, on comprend comme il faut traduire aujourd’hui le mot  démodé de « disciple » : cadre jeune et dynamique pleinement intégré au système, que l’on persuade de prier pour réussir, mais avec les bonnes personnes du bon réseau : et ça marche, Alléluia ! Même un prêtre prolétaire de la CGT n’aurait pas  osé dire qu’il formait des ouvriers autant que des saints : des disciples de Jésus ouvrier peut-être,… un Jésus jeune cadre dynamique, vous imaginez, vous ? Ben si, nos apôtres modernes ont réussi où Judas a échoué et converti Jésus au monde des affaires,  et bim,  voilà que les prêtres enseignent comment réussir sa carrière en distribuant  grâce et dividendes, comme aux States ? Et les pauvres ? Et les anti système ? Certes personne ne leur interdit de venir dans nos sessions et séminaires : oui mais voilà, penser « nos », c’est déjà les mettre au-dehors. Maudite propriété qui nous rend le cœur indisponible.

 

Enfin en privilégiés de la grâce, on aime à se raconter tout ce que Dieu fait pour nous et même s’applaudir à la fin des messes : ce qu’on est formidables ! Or cette puissance d’auto persuasion qu’est une louange autocentrée, et que l’on prend pour don de l’Esprit, provoque une erreur de discernement catastrophique : non seulement elle empêche Jésus d’être notre seule consolation, mais elle nous aveugle, et nous croyons marcher vers la sainteté où nous nous vautrons dans le crime.  Cette erreur de jugement nous rend de fait inaptes à toute conversion, puisque nous sommes persuadés l’être déjà, et nous nous voyons en héroïques résistants à l’esprit du monde, comme jadis les Iscariotes face au pouvoir romain, où nous sommes juste bons petits soldats de l’Empire. Et quand bien même la grâce est  vraiment là et que nous sommes humainement comblés : Judas aussi en a bénéficié en surabondance, en « chouchou » de Jésus : le Seigneur ne lui avait-il  pas confié la bourse commune aux yeux de tous, ne l’avait-il pas servi lui-même à table, en hôte d’honneur, le soir même de la trahison ? Depuis quand avons-nous fait des responsabilités humaines qui nous sont confiées et des grâces reçues la marque d’une prédestination ? La pluie bienfaisante tombe sur les méchants comme sur les gentils, et  savoir  d’où elle vient ne nous met pas  non plus davantage dans le camp des saints, mais des sans excuses.

 

Or des excuses il nous faudra en trouver pour expliquer notre absence d’une Histoire qui se dénoue dans des spasmes d’agonie.

 

En effet tandis que le peuple qui n’en peut plus revêtait le gilet jaune de la révolte, nos curés et bons paroissiens regardaient ailleurs. Ils fermaient à clé les églises où passent les manifestants qui, gazés, matraqués, cherchent refuge en vain dans des maisons de Dieu depuis longtemps clubs privés. Ne s’y vivent en occupants légitimes que les bourgeois dont la foi satisfaite est argument pour être de ces « gens de confiance ».  Depuis combien de décennies ne laisse-t-on le peuple s’y sentir toléré qu’hors des offices, reclus  ici devant une statue de Ste Rita, là la tombe d’un saint local,  à mettre un cierge pour le cancer de la voisine et le contrat intérim du fils ? Et si l’Immaculée Conception n’avait botté le cul des suffisants de ce stupide XIXème dont nous sommes héritiers fins de race, le peuple l’aurait perdue aussi, qui continue heureusement de se vivre chez lui partout où sa piété a reproduit une grotte de Lourdes.

 

Pourtant où est le peuple de Dieu ? Derrière les fortifications des quartiers opulents et certitudes ronflantes, ou  dans le désert de nos ronds points où campaient de pauvres hères autour d’un feu de palettes, les pieds gelés mais la tête dans les étoiles, à redécouvrir avec une joie d’enfant la fraternité bannie de notre modernité ? J’ai vu et j’en rends témoignage : dans ces rencontres impromptues entre chauffeurs routiers de la grande Europe, mamans de grands enfants handicapés, jeunes en galère et retraités sans le sou, artisans à la peine et mamans solo,  par delà les colères qui avaient fait sortir chacun de son familier, la joie débordante avait du céleste.  Quelque chose de profond, qu’on avait oublié et qui pourtant réveillait un inconscient collectif heureux, avait fait effraction dans notre monde lobotomisé où chaque individu enfermé dans sa boîte 2.0 ne tourne plus que sur lui-même, quelque chose comme une espérance partagée, nos regards accrochés à une étoile là où le monde des écrans et des satellites avait pourtant décrété qu’il n’y avait pas de ciel. De cette effraction du divin au secret de nos ronds- points j’en veux pour signe la file indienne de moines bénédictins, frêles silhouettes noires hors les murs, dans le froid de novembre,  venues saluer leurs nouveaux voisins de misère dans ce QG aux allures d’étable.

Mais hormis ce geste prophétique et quelques autres exceptions, où étaient nos bons pères et leurs zélés paroissiens ?

 

Les SDF se sont multipliés dans les villes, et le curé dîne avec le maire dans les restaurants les plus chics. On se rue à la sortie de la messe pour accueillir des séminaristes de passage, mais pour le jeune de chez nous qui dort dans la rue il n’y a de place chez aucun paroissien. On fait la quête pour une cloche qui sonne juste, un nouvel autel, du chauffage pendant les offices, un chauffe-eau pour la serpillère…: mais pas question d’installer dans le même temps une douche pour un pauvre de passage : il y a les associations d’Eglise pour cela.

Pendant combien de siècles encore ne mélangera-t-on pas les torchons et les serviettes dans nos sacristies ?

Un évêché jouit de bâtisses immenses où il reçoit petits plats dans les grands des étudiants de prépas des plus huppées, et pour cela il fait sortir en catimini avant la fin de la trêve hivernale des familles de migrants déposées là par l’Etat, miséreux pour qui il n’y avait ni lingerie ni eau chaude, hommes, femmes et enfants qu’attendent la rue, les trafiquants d’êtres humains et les centres de rétention avant le renvoi en enfer. On ne pouvait décemment prendre le risque de choquer ces hôtes aux familles fortunées, et le devoir exigeait d’honorer ce contrat !

Depuis quand avons-nous rompu l’alliance sacrée qui unit l’Eglise aux pauvres et aux migrants ?

Une intention de prière dominicale suffit-elle à répondre aux appels pressants du Pape  d’accueillir en paroisse une famille de réfugiés ? Prier pour les hommes politiques nous dispense-t-il d’agir en citoyens responsables ? Etre du bon côté du trottoir nous rend-il aveugle à l’autre bord, celui où le système parque les chômeurs en leur disant « traversez » comme si ce n’était pas d’abord le jeu des relations qui vous fait gagnants, et non le courage? Acheter de la pâte à tartiner bio pour nos enfants est donc si puissant somnifère, que rien ne semble ébranler notre sommeil d’injuste, pas même la maison commune en feu ?

 

Où sont les catholiques de combat ? Les St Martin, St Yves,  St Vincent de Paul, Ste  Marie-Euphrasie, les Jeanne : d’Arc, de Chantal, Elisabeth, et les Ozanam, Péguy et Bernanos, et les  abbé Lemire et abbé Pierre, et sœur Emmanuelle, et tant d’autres : saints des champs de guerre, économique et militaire, des rues populaires et des campagnes miséreuses, qui  distribuaient sans compter le pain, rachetaient les esclaves, mettaient à l’abri les enfants abandonnés, soignaient sans relâche, écrivaient aux puissants, les tançaient publiquement, les menaçaient de la justice divine en rappelant inlassablement la question du jugement :

« Qu’as-tu fait de ton frère ? » ?

 

Partout des hommes, femmes, enfants se lèvent courageusement, héroïquement même, pour s’opposer de toutes leurs forces, leurs corps dérisoires pour seul bouclier, à l’attaque sans précédent contre tous les vulnérables: écosystèmes comme humains. Entre deux arrestations, ces gens de bonne volonté se cherchent des raisons d’espérer par delà l’effondrement en cours  qu’eux regardent en face.

Quand les étudiants des grandes écoles ont rallié officiellement, par dizaine de milliers, les rangs des désistants du système, j’ai espéré naïvement que, via des aumôniers d’université, des groupes de prière bac ++, des communautés de cadres sup,  l’Eglise allait s’y intéresser et leur apporter enfin l’Esprit de Laudato Si. Las, absente au peuple en souffrance, elle se révèle incompétente au monde des futurs dirigeants.  Laudato Si a d’ailleurs été une occasion ratée par nous catholiques de rencontrer une multitude d’hommes et de femmes de bonne volonté qui, eux, ont lu, étudié, pris au sérieux l’encyclique, y ont vu un signe d’espoir formidable dans leur vie de lutte pour la justice écologique et sociale, mais voilà: à l’autre bout de la ligne on a laissé le répondeur automatique.  Avec le Pape François nous avons les paroles fortes pour prêcher aux puissants : nous préférons leur donner la parole, eux qui ont le monopole des médias et les creusets du savoir officiel dans leurs mains. Pour exemple de mémoire : qu’ont à faire un Schweitzer aujourd’hui comme un Michelin hier dans les colonnes des journaux catholiques ? Le PDG de Danone veut confesser ses états d’âme en public ? Même la Chine l’écoute qui lui achète son lait infantile, qu’il y aille faire son repentir public, mais lui donner la place de star dans nos assemblées ? Cessons de donner aux riches, que diable ! Nous avons des oreilles pour nous laisser enseigner par les pauvres, présence actuelle du Christ, et nous préférons écouter les fadaises flatteuses des grands patrons et des politiques dans nos salons mondains, plutôt que de nous laisser chahuter le coeur ne serait-ce que par les appels à l’aide du Secours Catholique, du CCFD, d’Emmaüs, à défaut d’être branchés directement sur le canal des victimes de notre monde… Mais non, on préfère faire la quête en sortie de messe pour qu’elles… qu’elles nous fichent la paix.  Et le label catho de ces filiales auprès de qui on sous-traite les œuvres de charité, on leur fait bien sentir qu’il demande des garanties christo 9001, et si elles nous importunent,  organisera-t-on de nouveau avec les copains une petite campagne médiatique de dénigrement pour les ramener au silence radio ?

 

Le monde plonge, l’orgueil de sa technique ayant déclenché le processus qui le fait aujourd’hui couler comme le Titanic, les passagers du bas se noient,  et nous sommes en pilote automatique, toute liaison coupée avec les étages inférieurs pour ne pas être dérangés dans nos salons insonorisés.

 

A l’heure de l’agonie d’une civilisation, où est l’Eglise et ses sacrements ? Où sont nos hôpitaux de campagne ? Nos « street-spirit-medic » ? Face à la perspective chaque instant plus probable d’une fin du monde apocalyptique, où est son trésor eschatologique ? Elle prêche mollement dans des églises moribondes une passion de guimauve et une résurrection chabadabada, un péché originel  d’Epinal,  ergotant sur la justesse de telle larme au cinéma pour savoir si on peut lui donner crédit. Elle disserte entre la poire et le fromage sur la pureté doctrinale de ceux qui meurent aux côtés des sans terre. Elle noie, dans des réponses trop vagues pour lever des missions de sauvetage (il ne faudrait pas mouiller de précieuses pantoufles de palais !), par son manque d’empressement, les SOS de François, et laisse noyer  les enfants d’Afrique qui fuient guerres, famines et esclavages.

Il faut avouer, dit-on d’un ton condescendant,  que notre Pape voit tout cela avec sa culture populaire, simpliste et syncrétiste sud-américaine !

Puis le sourcil inquisiteur :

 « Il devrait être davantage attentif au panthéisme de ceux qui défendent la planète, au néo-marxisme de ceux qui se battent aux côtés des pauvres, à l’Islam des réfugiés ! » enfin avec une fausse complicité et compassion envieuse :

 « … et davantage compréhensif envers ces faiseurs d’emplois et de richesse, ces co-créateurs du monde nouveau, qui souffrent incompréhension, médisance et calomnie ! Comment, n’est-ce-pas, ne pas répondre présent à leurs appels, n’ont-ils pas droit aussi à l’accompagnement bienveillant de l’Eglise ? Des pauvres, nous en aurons toujours : mais des riches en faim de Dieu ? »

Faim de Dieu ? Ventre repu n’a plus de faim ! Il cherche juste distraction agréable comme digestif pour se cacher à lui-même le néant vertigineux de sa vie. Avant de reprendre un shoot d’adrénaline au casino du Grand Capital.  Au casino du Titanic.

Mais, bon sang ! Le monde coule, vous comprenez cela ? Même une enfant le comprend!

 

Laissons sans regrets les privilégiés pour courir aux pauvres, ils sauront à leur heure venir à l’Eglise, quand la faim pour leur salut les réveillera, quand l’eau les atteindra aussi. Ils sauront alors le chemin pour nous retrouver : descendre aux pauvres à leur tour. Mais ces pauvres qui se battent aujourd’hui n’ont pas possibilité d’aller au Christ si nous maintenons la croix déportée du côté de ceux qui les noient.

 

Oui nous vivons un catholicisme collabo qui, par la naïveté du vaniteux, se croit utile auprès des puissances d’un  mondia-système en haine de toute vie, à l’heure où les peuples exsangues s’agitent avec la même force désespérée que l’ensemble des vivants, cherchant dans l’obscurité qui couvre la totalité des terres la lumière du Créateur.

Les créatures en gémissement d’agonie implorent cette lumière mise par nous, par nous !!!,  sous le boisseau des ors des puissants pour distraire en leurs palais leurs  serviles invités.

 

Aussi depuis les rues gazées et les pauvres matraqués contre des portes closes, sur les plages empoisonnées et les champs intoxiqués, dans les quartiers en ruine de nos guerres, les villes poubelles de nos sociétés de consommation, les camps d’échouage des migrants épuisés, depuis la barque qui chavire et le navire de sauvetage interdit de tous nos ports, au coeur des effondrements effroyables des forêts multiséculaires et sur nos pôles peau de chagrin et radeaux de la Méduse, nous en appelons à un catholicisme de combat !

Que l’Esprit nous insuffle la parole de feu pour révéler à tous les impostures et leurs suppôts, et nous donne vertu de force pour les combattre, la tunique misérable du pénitent en signe  public de repentance!

Qu’il nous arme du bouclier de cette Foi irradiante qui déplace les montagnes, en cette heure où la Terre vacille,  la croix dressée sur le monde en signe d’Espérance pour tous : zadistes et policiers suicidaires, réfugiés et électeurs d’extrême droite, permaculteurs et esclaves de l’agrochimie, résistants des villes et des bois, et nos frères animaux et nos sœurs les plantes, et la Création toute entière en gémissement de douleur!   Qu’Il nous mène chacun en notre heure au don total de nos personnes, dans ce combat ultime dont nous, chrétiens, savons l’issue victorieuse !

 

Il est temps d’opposer à la folie destructrice du monde la folie d’amour du Ressuscité.