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Chrétiens et nuit debout

Avec ou sans gants blancs

Presque comme un seul homme, les principaux protagonistes ou soutiens de la manif pour tous et des veilleurs (à de rares exceptions près) se sont dressés ensemble dans un même rejet instantané, condescendant et pour tout dire viscéral, devant l'irruption soudaine et destabilisante du mouvement Nuit Debout.

Il fallait voir ce déluge de mépris hargneux (comme d'habitude mêlé d'auto-satisfaction) assené sur twitter ou tel ou tel blog en vogue. Au bout de quelques jours, la messe était dite à peu près en ces termes : tous groupés derrière la vache sacrée Finkielkraut, halte au péril rouge et à la pisse sur les murs! Ah ces "débordements" que guette la meute derrière son fourré, fonçant comme sur du pain béni dès qu'elle entend "violences et dégradations" sur BFMTV, trop contente d'apporter de l'eau chaude à son moulin : on vous l'avait bien dit, hein... des casseurs, rien que des casseurs! Et on ne se posera surtout pas de questions au sujet des complicités suspectes entre le gouvernement et les "casseurs", ça ferait tomber à plat notre fantasmagorie anarchophobe trop bien huilée. 

Le discernement, la nuance, les éléments de convergence potentiels et un zeste d'ouverture d'esprit? Connais pas. Eternel retour aux binarités mesquines et rivalités mimétiques (ici nuit debout vs veilleurs, ailleurs écologie environnementale vs écologie humaine), au réflexe défensif opposant systématiquement "leurs" combats (forcément sectaires, intolérants et imperméables à toute métaphysique) aux "nôtres" (évidemment chrétiens et hautement civilisés). Nous les gens bien, et les autres, brebis perdues.  

Il y a quelques années, aux heures fastes de LMPT, on allait pourtant voir ce qu'allait voir, promettait-on tambours battants : puisque l'on découvrait que le monstre libéral avait deux têtes, le combat contre le libéralisme moral allait, tout naturellement et en toute cohérence, déboucher sur un combat concomitant contre les ravages du libéralisme économique. La convergence des luttes entre enjeux dits sociétaux et socio-économiques était en marche, inéluctable, bientôt placée sous le signe de l'écologie intégrale du pape François. Pour sûr...

Certes, il serait idiot de le nier, des lignes ont aussi bougé souterrainement dans ce "milieu". Qui, il y a encore cinq ans, aurait seulement pu imaginer l'existence et le succès d'une revue comme Limite dans le paysage catho français? Il serait non moins absurde, sous le mode Paul Ariès par exemple, d'en surajouter en sempiternels procès en réaction, afin surtout de mieux rester sourd aux questions anthropologiques profondes soulevées par LMPT (et d'autres), sous l'unique prétexte des inconséquences de ce mouvement et de sa dominante bourgeoise. Il ne serait du reste pas moins absurde (et terrifiant!) d'enfermer toute personne bourgeoise dans sa seule et unique condition de bourgeois. 

Pour autant, face à nuit debout, la posture très largement majoritaire de la bourgeoisie dite catholique est symptomatique d'un milieu caricaturalement prisonnier de ses réflexes de classe et de ses automatismes idéologiques : la cathosphère à papa s'avère, une fois encore, aussi prompte à dénoncer les violences policières lorsque pour une fois elle les subit lors de la manif pour tous, qu'à aduler les forces de l'ordre et exiger à grands cris la fermeté de l'Etat, lorsqu'une jeunesse se soulève bruyamment face à une loi travail prête à inscrire la précarisation de son avenir dans le marbre de l'agenda du medef. 

Emettre de temps à autre (parce que faut bien quand même) une critique formelle du libéralisme économique, prudemment cantonnée dans d'inoffensives généralités, passe encore. Mais rejoindre, ici et maintenant, un mouvement populaire qui s'oppose vigoureusement et concrètement à une loi hautement symbolique de sa marche forcée, là faut quand même pas déconner non plus. Marche arrière toute! De droite et fiers de l'être! Vive le roi!

Le plus sûr moyen de camoufler son silence complice au sujet de la loi el Khomri et de son monde, reste encore d'enfler dans la caricature outrancière de ceux qui la dénoncent. Alors, entre gens si propres et si bien éduqués, on joue à plein la grosse ficelle hygiéniste et moralisante trop connue : cette place de la république transformée en "vaste urinoir", ces poubelles renversées, ces petits commerçants environnants "qui n'en peuvent plus", et cette si belle porsche en feu... Haro sur cette masse de fainéants (pendant que d'autres bossent dure le jour!), de punks fumeurs de shit, de casseurs de vitrines de grandes banques (rhooo... les français aiiiment leurs banques!), de gauchistes uuultra violents, ou, bien sûr, selon la formule qui marche très bien en ce moment, de bobos néo-soixante huitards. Toute la rance panoplie des aigreures figariennes y passe.

C'en est risible tant c'est grossièrement cousu de fil blanc : l'éthique du don, de la "bienveillance" et le combat pour la "dignité de l'homme", dont se gargarise tant tout ce beau monde, s'évaporent finalement toujours en chaque situation concrète où l'ordre néo-libéral appelle ses troupes fidèles à se ranger derrière l'impératif de "fléxibilité" et de "souplesse" tracé par sa novlangue d'usage. Vous avez pas remarqué?

Ici, on n'entendra malheureusement pas les si grands défenseurs de la famille, s'indigner d'une loi qui va d'autant plus fragiliser la stabilité des familles, par exemple en justifiant les plans sociaux et licenciements par la seule baisse du chiffre d'affaire, en permettant aux entreprises de changer les dates des congés payés sans prise en compte de la situation familiale de l'employé, et de façon générale en soumettant de plus en plus les conditions de travail de l'employé (et par extension son environnement familial) au bon vouloir de l'employeur. Non, ils s'indigneront des tags portés sur les devantures de la Société Générale!

C'est quand même curieux : chez ces gens là (comme dirait Brel), l'humain, la vie et la civilisation sont toujours mis en péril lorsqu'on touche à l'intime de la procréation, de l'enfance et de la filiation (certes oui!), mais jamais lorsque l'on veut réduire le travail humain à une simple variable d'ajustement et les travailleurs, en attendant qu'ils soient définitivement remplacés par des robots, à des instruments dociles et toujours plus adaptables, placés comme des pions au service des sacro-saintes exigences de l'entreprise "compétitive et moderne". Etonnant non?

 

Quoiqu'il en pense, ce club de super-cathos auto-proclamés, qui tient le haut du pavé sur les réseaux sociaux et les postes stratégiques de la parole autorisée, ne représente rien d'autre que lui même. On sait tout, on est des modèles de vertu et de civilité. On va quand même pas s'abaisser dans la poussière du réel humain à apprendre quoique ce soit d'un ouvrier communiste, d'un zadiste aux cheveux longs ou d'un jeune intermittent du spectacle! Puis quoi encore?

Fatigués de cette suffisance en gants blancs. Ouvrons les fenêtres, de l'air frais! Nous publions ci-dessous deux textes de notre amie Anne Josnin, directement engagée au sein du mouvement nuit debout dans son nord adoptif, du côté de Calais et de Saint Omer. Dans le premier, elle témoigne du sens que revêt pour elle la présence chrétienne au coeur de ce mouvement, auprès des assoiffés de justice et de vérité. Le second est son speech revigorant prononcé au milieu de son petit groupe calaisien. Merci à elle!

 

SL

 

 

***

Par Anne Josnin

Suite à ce que je vis d'une part avec Nuit Debout Calais, à mes échanges avec plusieurs d'entre vous d'autre part, je voudrais vous communiquer ici quelques modestes réflexions.

Tout d'abord, face à l'argument défaitiste : "cela ne peut pas aboutir, c'est voué à l'échec, etc...". 
D'une part je l'entends pour moi comme être de facto complice de ceux qui ne veulent pas que ça change. Et cela je ne le veux plus.

D'autre part, et surtout, nous chrétiens n'avons qu'une Espérance, et pas deux, non, c'est Jésus et Jésus seul. Ce qui nous donne une liberté d'engagement extraordinaire, et non comme c'est trop souvent compris  une indifférence aux affaires de ce monde, vouées de toutes les façons à disparaître, n'est-ce-pas... Nous n'agissons pas en fonction des critères de succès humain, mais en discernant à partir de cette unique Espérance en Christ : où, comment, pouvons-nous être témoin de cette Espérance? 
Là où le Christ lui-même nous a montré la voie : là où les hommes souffrent. Là où ils ont faim, là où ils cherchent. Jésus répondant aux questions de la Samaritaine comme de Nicodème, nourrissant les foules de sa parole et de son pain multiplié et partagé.

Donc il me semble que le critère pour nous engager n'est pas : quelle est le pourcentage de chances que cela aboutisse à une avancée positive? Mais : Jésus est-il attendu ici?
Pas le label Jésus pour mettre en logo sur l'entête de sa société, de son parti ou de son faire-part de mariage, mais le Pain Vivant pour ceux qui ont vraiment faim et soif de Vérité!

Et de ce que j'ai pu vivre sur Calais, elle est là cette Faim de Dieu! 
C'est une jeune anar qui, non contente de travailler dans la Jungle pour les migrants, y passe encore bénévolement tous ses week end, et qui désire lire l'Anarchisme chrétien, ce  sont ces syndicalistes anticléricaux avec qui on échange sur l'abbé Lemire et ses jardins ouvriers.... Ce sont ces jeunes qui choisissent courageusement des métiers non en cohérence avec leur niveau d'études mais avec leur conscience écologique, c'est cet ancien cadre sup d'une grosse boîte d'import export qui, vêtu comme un clodo, se met au service de chacun en faisant les tâches les plus humbles, me glissant en douce au bout de plusieurs soirées partagées que c'est son divorce qui lui a tout appris, et qu'il lui faut encore apprendre à s'abaisser.... c'est cette assistante sociale qui me confie ne plus dormir la nuit à penser à la misère humaine de ceux qu'elle suit pour le RSA,  ce sont ces étudiants qui viennent en stop, sac au dos, pour passer leurs vacances à aider les migrants, etc etc...

Enfin et surtout, et cela n'engage que moi, mais ce que je ressens de plus en plus, ce que j'expérimente, c'est que Jésus m'attend dans la rue et sur nos places. Un Jésus déroutant, au rebours de tous mes plans, qui sans cesse me met face à mes limites, ce jeune SDF qui refuse ce qu'on lui présente sur un plateau doré (un peu trop?) pour s'en sortir et s'enfonce dans sa drogue, tellement attachant!, ce jeune papa RSA qui me mène en bateau avec ses histoires, mais avec une telle gentillesse, ....bref, hormis aimer, aimer et encore aimer, je n'ai qu'impuissance à disposition, mais je crois que c'est justement ce que Jésus attend que je lui offre. Mon impuissance. 

 

AJ

Nuit Debout, est née il y a tout juste 10 jours, à l’issue de la précédente manif contre la loi Khomri. Et ce 40 mars, c’est près de 60 villes en France, et une dizaine en Europe.

Nuit Debout c’est vous, c’est moi, c’est le peuple qui refuse de retourner à ses esclavages, dans nos chez-nous squattés par tous les vendeurs et bonimenteurs propagandistes, publicitaires, politicards, faiseurs d’opinions et dealers des drogues dures que sont leurs camelotes, qui nous maintiennent en camisole chimique ou réalité virtuelle, derrière nos écrans où l’on veut nous garder captifs. C’est le peuple qui sort pour se réapproprier l’espace public, notre espace commun. C’est vous, c’est moi ensemble sur ces places de France et du monde, échangeant et discutant fraternellement, pacifiquement, réapprenant à vivre ensemble sous un même ciel, sur un même sol : sur nos pavés la vie qui reprend pied. Nous, toi, eux, tous ensemble, nous reprenons liberté de nous sentir partout chez nous.

 

Nous cessons de nous reconnaître dans ces élites qui nous gouvernent : élues ou non, c’est même caste qui depuis trop longtemps ne sert que ses propres vices, alors que partout le brasier de leurs guerres, de leur réchauffement climatique, menace la planète entière. Face à la gravité inédite dans l’histoire de l’humanité, de la vie-même, nous faisons sécession. Nous ne voulons plus être leurs complices, nous ne l’avons été que trop longtemps : nos divisions artificielles attisées par eux pour nous détourner des justes combats, nos individualités exacerbées pour nous maintenir en quête d’un petit bien-être matérialiste qui aujourd’hui nous dégoûte de nous-même. Nous avons en nos cœurs et nos esprits d’autres ambitions, d’autres rêves que ceux qu’implantent dans nos subconscients les publicitaires, ces enfants cachés des idéologies d’hier, ces manipulateurs de foules, vous êtes démasqués ! Nous reprenons liberté de rêver par nous-mêmes.

 

Nous reprenons notre liberté d’inventer ensemble un autre avenir que celui que vous nous imposez : c’est cauchemar de shootés au fric. A vous écouter, il nous faudrait sauter dans le vide, et vous voulez nous faire croire que votre techno-merde nous donnerait des ailes  pour atteindre Mars ? Nous préférons le pavé de nos places et la terre de nos champs. Vos rêves d’humains transgéniques, d’hommes augmentés, qui coloniseraient demain Mars, au prix de la vie sur terre, nous donnent la nausée. Notre projet à nous, peuple debout, c’est de prendre soin de ce qu’il y a de fragile, d’abîmé, de malade en nous et sur notre planète. Nous voulons réapprendre à réparer, à soigner, à prendre soin les uns des autres. Nous voulons réapprendre la joie d’habiter tous ensemble, quelles que soient nos boiteries de corps, d’intelligence ou de cœur, notre maison Terre. Vos délirium tremens ne font plus délirer que vous. Nous reprenons liberté d’être humblement et audacieusement réalistes !

 

Enfin et surtout, Nuit Debout c’est, qui prend sa liberté, notre jeunesse ! Là, jeudi soir, sur cette place d’Armes de notre Calais, nous avons rencontré des étudiants venus en stop de Bretagne et d’ailleurs, pour aider bénévolement cette « misère du monde » qu’on parque en notre jungle. Moi, maman, prof, je vous demande humblement pardon de n’avoir pas su vous rendre un monde moins amoché que celui qu’on nous avait confié, d’avoir trop souvent contribué à l’abîmer davantage par mes égoïsmes et mes petites et grandes lâchetés. Mais il reste une création dont je, dont nous sommes fiers : c’est vous ! Vous êtes magnifiques ! Nous voulons aussi, nos regards portés par la beauté de vos personnes, nous hisser au-dessus de nos égoïsmes d’hier pour nous mettre au service de votre avenir. Que vive notre jeunesse, que vivent nos enfants ! Que vivent nos enfants.

 

AJ

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