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Facétieux factieux

 

 

Vulnérable comme la grâce, libre comme l’enfance, insaisissable comme la vie : la joie populaire et son esprit de facétie passent à travers les mailles de la police techno-capitaliste. Mince !

Les rapports officiels de Jacques Attali et les très sérieux conseils de Caroline Fourest suffiront-ils pour mettre au pas le redoutable péril farceur ?

Compromet-t-il gravement le rétablissement martial de la grandeur nationale à la petite semelle lepeno-zemourienne ?

De Nuit debout aux convois de la liberté à Bruxelles en passant par les gilets jaunes, notre amie Anne Josnin témoigne en ces années de lutte, de tout le ridicule institutionnel et du grotesque de sa force brute, tentant en vain de mater le rire fraternel.

 

 

Nous sommes la vie qui se cherche un chemin…

… parce que la vie, toujours, échappe.

 

Même à travers les barbelés de Bruxelles,  même en  minuscules fourmis désarmées tournant en bas de leurs tours d’ivoire immenses gardées par leurs milices -qui sont aussi une part des nôtres, mais  encore embrigadée, ensorcelée : pour combien de temps ?-, nous trouverons le moyen. 

Comme un virus à la question dans un labo P4  pourtant sous contrôle international arrive à s’échapper,  à force de patience, d’opiniâtreté et d’imprévisibles mutations, nous trouverons aussi la faille, nous passerons les grilles de leurs prisons QRcodées, et nous propagerons le virus incontrôlable de la Liberté.

 

Le pouvoir  a le monopole de la violence.

Ok.

On avait remarqué.

Les yeux crevés et les crânes fracassés, les jambes brisées, les gens jetés au sol pour y être tabassés et foulés à coups de rangers. Les citoyens paisibles embarqués dans leurs bétaillères.

Comme le système traite la nature, il traite les humains. Comme il élève le bétail en batterie et broie les poussins, il nous parque et broie nos petits, le sang et les larmes cachés par les masques et la propagande culpabilisatrice.

Embrasser c’est tuer, la délation c’est la résistance. Le bien c’est le mal, le vrai c’est le faux.

On sait.

 

Mais il suinte la mort par tous ses pores de Léviathan, où nous sommes la vie qui s’échappe, douloureuse, joyeuse,  en colère, amusée,  farceuse, rageuse, imprévisible et toujours là… En cyclope  se cognant contre les murs de sa grotte,  le pouvoir nous cherche rageusement. Et se fait mal tout seul. Inutiles surnuméraires, gaulois réfractaires, analphabètes consanguins, complotistes pas tristes, nous sommes personne. Ici, là, nulle part et tout d’un coup partout.  Nous sommes les peuples de la Terre.

 

Comment agit la vie face aux murs implacables des déterminismes de la physique ? Elle ne cherche pas l’affrontement direct : elle est beaucoup trop faible. Mais sa faiblesse est sa force. Elle se joue des lois du plus fort. Elle passe à travers ses mailles et les retourne en sa faveur.

 

Lorsque Macron est venu à Liévin, nous sommes allés à 3 gilets jaunes, deux femmes, un homme, pour tenter de le rencontrer.  Sur place, pas un chat, mais des FDO partout.

Si, un petit bout de femme type arabe, tenace, carte de la REM en main. Enfin à ce qu’elle a raconté devant nous au conseiller technique de Macron venu poliment nous escorter hors du cordon de sécurité. On croise un RT de chez nous, vieille connaissance. Ni une ni deux il nous envoie une équipe pour nous contrôler. Devant les quelques habitants sortis en curieux, on nous relève nos identités. Enfin pas la mienne, ils ont déjà mon nom. Vieilles connaissances vous dis-je. Notre nouvelle comparse est en fait une camarade GJ, venue seule. On rit de son audace folle.

A présent que faire ? On a été repérés, ils ne vont plus nous lâcher. Un magasin de bricolage devant nous. On entre, on achète deux gilets jaunes. On ressort avec. Ca ne traine pas en nous voyant les narguer tranquillement. Tout le  petit monde est refoulé manu militari : faudrait pas que cette poignée de gueux inquiètent sa Sérénité. Des lycéens viennent nous voir. Zaiment pas beaucoup le Prince.  « Vous allez voter pour qui ? » Le gilet jaune est devenu une figure de référence pour ces jeunes que les campagnes de vaccination ont douloureusement fait rentrer dans un monde des adultes inquiétant. On cherche à s’approcher par une autre rue.  Partout les FDO viennent à nous pour nous refouler avec beaucoup moins d’aménité depuis que nous arborons nos couleurs. Le gilet jaune fait peur, même porté par deux petites cinquantenaires rigolardes et leur pacifique copain,  le paquet de frites à la main.

On cherche à regagner notre véhicule, mais le cordon de sécurité s’est élargi et à présent on ne peut plus y accéder. On tente par le rond-point qui mène au lieu où se recueille Macron le Grand.  La police accourt vers nous en voyant nos gilets jaunes, sur la défensive. On explique. « Le chauffeur (qui n’a pas de gilet jaune), il va chercher la voiture, vous, vous restez ici et vous l’attendez au rond-point. »

Les pauvres, quelle idée malheureuse ont-ils eu là ! On se met à la sortie du rond-point. Je commence à faire de grands coucous aux voitures, tandis que ma comparse qui a ôté son gilet l’agite à tous les vents, nos sourires hilares communicatifs. Cela ne rate : les sourire médusés des automobilistes, des coucous complices, et quelques uns qui se lâchent joyeusement en coups de klaxons, à la barbe de la police, à deux pas de la mascarade présidentielle ! Panique chez les bleus qui ne peuvent s’approcher de notre bord, occupés à barrer la sortie côté Président.  Les voitures, les camions passent, les coups de klaxons et les sourires nous gonflant l’âme d’un immense fou-rire libérateur, que c’est bon que c’est bon les amis ! La réaction ne traine pas : la  voiture de la BAC arrive en mode cowboy, pile devant nous,  gilets pare balle truffé de munitions, je fais un pas en arrière pour éviter qu’ils nous embarquent. On connaît leurs méthodes. Ma camarade tente une explication des plus farfelues. Z’ont pas le même humour. Je tente à mon tour : « Quand-même, ce n’est pas bien méchant, non ? » Je vois le début d’un demi-sourire s’échapper d’un coin de sa lèvre. C’est vrai, deux petites mamies gilet jaune au vent qui arrivent à faire klaxonner les gens à la barbe du service rapproché de sa Majesté, sur un rond-point  de France ouvrière des terres du Nord, ça vous réveille une vieille joie qu’on croyait disparue, des farces médiévales, de maître Goupil , du renard de La Fable, du coup de bâton et du guignol, de la 7e compagnie et de la bonne sœur en deux chevaux, cette joie des bons tours dont le  petit peuple a le secret.  Notre chauffeur arrive à point nommé, on nous laisse repartir, hilares. Un peu plus loin, nous offrirons un de nos gilets jaune à Jean Jaurès qui, la main tendue vers le ciel sur son piédestal, nous faisait signe fraternellement.  Là aussi, les passants sourient en voyant notre audace. Et les voitures nous klaxonnent.

 

Ce week-end Convoi de  la Liberté. Après la joie des retrouvailles sur ce parking de grande surface la veille au soir, et Dieu que c’était fort, et bon, et joyeux !,  à Bruxelles hier nous n’avons jamais réussi à nous rejoindre pour faire corps.

Mais par petites escouades pacifiques ou navigateurs solitaires, mobiles, cherchant où aller, nous avons sillonné au hasard des dernières infos d’un lieu à un autre. Ce faisant,  sur ces trottoirs du chacun pour soi en ignorance des autres, nous étions un flux qui va et vient en s’échangeant les bonnes ondes de la fraternité en lutte. Il suffisait d’un clin d’œil, d’un air siffloté, d’un fraternel « On est là », pour que la connexion se fasse, l’espace d’un instant parfois, chacun repartant sur son chemin à la recherche d’un groupe, d’un lieu d’où se lancer dans la bataille. Las, de bataille il n’y eut point.  Mais tandis qu’on échangeait à mi-voix qui avec un groupe de bretons, qui avec un bordelais, qui avec une fonctionnaire belge, au-dessus de nos têtes le bourdonnement incessant de l’hélicoptère qui nous zieutait, dans les rues paisibles de Bruxelles l’opulente, les gyrophares rapides et sirènes hurlantes d’une police aux abois, nerveuse, hésitant entre bonhommie face à notre vulnérabilité désarmante, et répression parce que, l’air de rien, nous ne décrochions pas malgré leurs agitations, et que lorsqu’on nous chassait d’un lieu, on nous retrouvait un peu plus loin.

Allant à quelques uns à la rencontre d’un groupe de camarades nassés au Parc du Centenaire, la barricade et les playmobils criant une langue à nous inconnue nous séparant, on nous fait reculer tandis que certains essayent pacifiquement de parlementer.  Avec un  camarade rencontré un instant plus tôt,  venu avec sa banderole en bandoulière, nous décidons à deux de la déployer en chantant « On est là ».  D’autres entonnent avec nous. Attitude interdite des FDO. Que se passe-t-il ? Que font-ils ? Quel est leur plan ? Est-ce un appel ?

Tandis que le cordon nous fait face, les voitures de police s’arrêtent devant nous, parlant dans leurs interphones de flics. Un canon à eau arrive. Le rond-point où nous nous trouvons est en train d’être encerclé. On enroule la bannière tricolore, on se salue rapidement et chacun repart de son côté. Un peu plus bas, quelques mamies, un ou deux papi, une jeune maman, son bébé dans le dos. On échange un instant. Un papi déroule son drapeau avec la croix de Lorraine. On prend une photo. On s’encourage. On se sépare.

Nous n’avons plus peur de notre propre vulnérabilité.  Nous n’avons plus peur de n’être que deux ou trois face à un convoi.  Nous n’avons plus peur d’échouer en apparence, encore et encore. Leurs rires gras dans les salons du pouvoir pour se rassurer ne nous intimident plus. Nous avons vu le long des convois, nous voyons à tous les coins de rue, dans les cafés et derrière les vitres des voitures,  l’espoir renaître partout où nous passons.  Sur nos chemins se propage une vie qu’ils ne peuvent depuis longtemps plus contrôler. Quelle forme prendra-t-elle demain ? Si nous ne savons pas nous-mêmes, comment peuvent-ils l’anticiper ? Ce qui se passe au secret des peuples et des âmes,  Attali et Alexandre, vos sciences divinatoires ne peuvent le pénétrer.

 

Donc concrètement :

 

Mieux vaut être par petits groupes mobiles, rapides, réactifs, se faisant et défaisant au gré des mouvements, qu’un groupe monolithique facile à nasser.

On a autant besoin de groupe paisibles, joyeux, musiciens, artistes, de communicants de la vie, que de « forces spéciales », d’ombres rapides allant d’un groupe à un autre, collectant et  diffusant les infos, menant des actions surprises.

Un groupe de joyeux musiciens peut se transformer d’un instant à un autre en groupe d’action rapide pour peu qu’une opportunité se présente, et redevenir l’instant d’après un paisible chapelet de touristes.

 

Pour tout groupe qui progresse, il est besoin d’éclaireurs. Une action se construit avec des agents sur place plusieurs jours à l’avance si possible. Il nous faut des points d’appui sur le terrain, des lieux de repli et de réserve.  Partout nous savons qu’il y a dans la population des gens désireux de nous aider. Cela ne se fait pas sur les réseaux, mais par les échanges directs sur place.

 

Pour cela ne dire que le minimum nécessaire. Trop d’info tue l’info et déflore l’action.

La complicité dans un échange de regard, dans un sourire, une tape sur l’épaule, un café partagé, en dit tellement plus que de longs laïus sur l’art et la manière de se battre !

 

Etre solidaires de tous,  sans prêter allégeance à personne.  N’importe qui peut demain se retrouver manipulé de gré ou de force, à son insu ou non, par le système. Et nous sommes assez matures pour ne pas nous en remettre à un chef, dont on fait de facto une cible pour le pouvoir.  Chacun peut demain être à l’origine d’une initiative, après-demain se mettre en retrait.  Ainsi l’ennemi se retrouve non face à une organisation avec une tête facile à repérer et contrôler, mais face à un courant de vie multiforme et imprévisible.

 

Encore et encore, se prémunir de l’illusion du Grand Soir. Ce n’est que dans les livres d’histoire pour enfants que les révolutionnaires prennent la Bastille en un jour. Dans la réalité les idées de la Révolution ont travaillé des décennies durant, sur tout le territoire européen,  dans les salons mais plus encore dans les cafés et les chaumières où on lisait les premiers journaux et se forgeait une pensée personnelle par l’échange, hors du contrôle du pouvoir. Et la Bastille, ce symbole vide depuis longtemps d’un Ancien Régime déjà passé de mode, ne faisait que marquer le début de siècles de luttes, encore non terminées.  Il n’y a pas de soir de défaite. Il y a la vie qui avance, non comme nos cerveaux étroitement calculateurs,  avides de victoires rapides, faciles mais factice, le voudraient, mais selon son bonhomme de chemin, confiante comme une enfant.

 

L’enfant qui apprend à marcher n’a pas peur des chutes. Il n’a pas peur du ridicule. Il ne se décourage jamais. Il ne s’arrête pas un soir en se disant : « ça ne sert à rien. Je ne suis pas fait pour marcher». Peu importe ce que les adultes autour de lui peuvent penser. Qu’on le regarde ou non, il se lève et il tente l’aventure.  Encore et encore. Il ne perd pas confiance en lui. Il poursuit l’effort, sans s’inquiéter, mais avec une telle joie à chaque nouvelle victoire ! Nous sommes cet enfant. 

 

Nous ne nous découragerons pas.

Nous savons rire de nos chutes.  Nous savons rire de nos victoires.

 Nous n’avons pas peur de notre vulnérabilité. Elle est notre force.

Nous sommes la vie qui s’invente un chemin.

Anne Josnin

                                                                             

(Ci-dessous avec JJ en GJ,

à Liévin, Pas-de-Calais)

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