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Falk Van Gaver

Christianisme contre capitalisme?

L'économie selon Jésus-Christ

(Editions du Cerf, 2017)

 

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Né une première fois en 1979, Falk Van Gaver est écrivain, voyageur, journaliste, amoureux de la nature sauvage,

anarchiste chrétien (encore ?).

Inspirateur du concept d’écologie intégrale, il est notamment l’auteur de L’écologie selon Jésus-Christ, de L’anarchisme chrétien

et d’un essai de théologie sauvage.

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Servir Dieu ou l’Argent. Se faire pauvre parmi les pauvres à la suite du Christ. Prendre soin de toute la création plutôt que de la sacrifier sur l’autel de notre dévorante « prospérité ».

Face au message radical de l’Evangile et, par extension, aux injonctions, encore si peu connues, de la doctrine sociale de l’Eglise, nous sommes placés devant un choix d’autant plus redoutable que ses inductions sont inséparablement personnelles et socio-politiques :

Soit continuer d’en éluder la portée révolutionnaire en en ânonnant les grands principes le dimanche tout en se barricadant le reste de la semaine, et en toute bonne conscience, derrière une citadelle de bourgeois catholiques qui n’entendent pas lâcher la moindre miette de leurs certitudes, places et privilèges.

La si vaste armada d’anesthésiants-communicants en milieu catholique ne sert à rien d’autre qu’à cela : tranquilliser et camoufler intellectuellement cette  contradiction pourtant insurmontable d’un catholicisme de bien-portants.

Soit donc, et tel est le but et la plus grande force de ce livre de foi et de combat qui nous y invite, commencer enfin à prendre l’Evangile au sérieux et tout ce qu’il implique dans le plus concret de nos orientations existentielles et politiques : d’abord dans le tremblement de honte qui effleure la conscience en éveil et dans l’allégresse libératrice de toute vraie repentance. Le christianisme vivant est incarné donc musclé. Sinon il n’est qu’une inoffensive parodie.

Entremêlant judicieusement les sources bibliques et magistérielles à celles de l’écologie radicale et de la décroissance, Falk van Gaver le dit tout le long de son livre : La révolution évangélique qui vient est la révolution de la pauvreté choisie et partagée. La pauvreté est le contraire d’une misère subie ou d’un dolorisme auto-flagellateur, elle est un allègement et une ascèse libératrice, une mise en œuvre concrète de la destination universelle des biens, l’unique condition de la justice entre les hommes et tout bonnement de la vie sur terre.

 

Rien d’étonnant donc à ce que la radicalité anti-capitaliste du pape François ne suscite dans les milieux catholiques libéraux-conservateurs au mieux des rondelettes stratégies de contournement et de sous-estimation de son propos, ou bien, de plus en plus ouvertement, une franche haine. Pourquoi ? Simplement parce que dans sa cohérence évangélique, elle révèle l’hypocrisie abyssale d’un milieu qui se gargarise de très pieuses paroles, qui feint un rapport pudique et distancié à l’argent, mais qui se gave d’un système capitaliste dont il est activement complice. C’est bien connu, Auchan je prie et j’entasse le blé.

François nous bouscule car il nous demande précisément de prendre l’Evangile au sérieux. Il nous indique un chemin à arpenter, pour incarner la pauvreté des béatitudes jusque dans le concret matériel de nos vies, de nos choix, plutôt que d’en relativiser les exigences par leur spiritualisation bien commode, qui rassure et absout à peu de frais le grand patron chrétien et nous tous autres petits bourgeois chrétiens.

Falk Van Gaver rappelle que tout renouveau de la foi chrétienne a toujours été retour à la source de la pauvreté vécue et partageuse, par le dépouillement des biens superflus et la mise en commun des biens, dans le sillage des premières communautés chrétiennes (Ac 4, 32), pour et par le Christ.

Ce renouveau est aujourd’hui tracé notamment par toutes les communautés de vie et de lutte issues de la théologie de la libération, dont le magistère de l’Eglise, tout en lui apportant quelques correctifs, a intégré les principales intuitions, « l’option préférentielle pour les pauvres »  ou encore les « structures de péché ». Elles sont au centre des travaux fondateurs de Gustavo Gutiérrez, « père » de la théologie de la libération, co-auteur d’un long et très fécond dialogue avec le cardinal Ratzinger, et reçu en 2013 par le pape François.

Cette théologie est chrétienne car elle s’est toujours voulue tout à la fois fondamentale, appuyée sur la révélation et la tradition, et en même temps ancrée dans les dimensions sociales les plus concrètes. Elle est surtout chrétienne car centrée sur le Christ pauvre, sur l’exigence de le suivre dans sa pauvreté et de réorienter toute l’activité économique à l’aune de la civilisation de la pauvreté.

C’est peu dire combien ce courant fut caricaturé et condamné par ce même « catholicisme conservateur », intenteur de tous les procès en « marxisme-léninisme» et, a contrario, toujours prompt à la plus grande tendresse envers les dictatures militaires latino-américaines, celles-là mêmes qui assassinèrent Monseigneur Oscar Romero en pleine messe, tout comme de nombreux théologiens de la libération, des prêtres et sœurs engagés politiquement avec les plus pauvres, et des dizaines de milliers d’autres personnes.

L’évêque brésilien monseigneur Hélder Câmara résume bien ici l’étendue du problème psychologique du dit milieu : «Quand j’aide les pauvres, on dit que je suis un saint. Lorsque je demande pourquoi ils sont pauvres, on me traite de communiste».

 

« Heureux les pauvres ! » a-t-on clamé en se complaisant trop longtemps à oublier la suite : «Malheur aux riches !» (Lc 6, 24). Car Jésus est très clair sur l’incompatibilité radicale du service rendu à Dieu et à l’Argent (Mt 6, 24 ; Lc 16, 13) et sur l’impossibilité pour un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu (Mc 10, 25). Jésus n’aime pas le jeune homme riche en lui demandant de moraliser son enrichissement mais en lui demandant d’y renoncer, de le suivre en se convertissant à la pauvreté réelle (Mc 10, 17-25).

Il nous faut relire aujourd’hui les Pères de l’Eglise qui tels Clément d’Alexandrie, Saint Ambroise ou Saint Jérôme condamnèrent avec véhémence l’enrichissement comme fruit de l’injustice. Ils seraient les premiers à vomir les revenus des PDG du CAC 40, et à exiger, au minima, un strict plafonnement des revenus. 

Du fond du gouffre des grands aveugles qui entendent le rester, la raide et très soviétique confrérie des « économistes catholiques » préfère quant à elle ergoter sur le degré d’autorité magistérielle des fracassantes sorties papales relatives à l’économie libérale qui tue.

Que François se cantonne à la morale familiale et à l’éthique sexuelle et qu’il laisse les gens sérieux débattre des modalités de retour à la croissance et au moral des ménages, sermonnent-ils en colloque. Et tout ira bien, comme au temps de Brejnev.

Falk nous invite aussi à relire, entre autres, la constitution pastorale Gaudium et spes, fruit du concile Vatican II, citant des extraits où les biens de la création, bien de tous, sont destinés à profiter à tous, où le plus pauvre «a le droit de se procurer l’indispensable à partir des richesses d’autrui », bref, où la propriété privée est strictement subordonnée au principe de la destination universelle des biens, ce que les encycliques sociales affirment depuis la fin du XIXe siècle.

Que sont-ce là, encore une fois si on les prend au sérieux, sinon les grandes lignes de ce qu’il faut bien appeler un communisme chrétien ? L’engagement des églises locales d’Amérique Latine pour la réforme agraire, pour l’agriculture vivrière, auprès des petits paysans expropriés, victimes des grands monopoles sur les terres arables, n’est rien d’autre qu’une volonté de mettre en œuvre concrètement ces principes de primauté du bien commun sur la propriété privée, par le lien indissoluble de la charité et de la justice. La théologie et la doctrine chrétienne sont incarnées ou elles ne sont pas chrétiennes.

Or, poursuit Falk Van Gaver, cette désincarnation, c’est la pente sur laquelle s’est doucement engagé une large part du christianisme occidental, surtout depuis Descartes. D’abdications en abdications, touches après touches, jusque dans le contenu appauvri des traductions liturgiques, c’est toute la dimension sociale et politique du message biblique qui a été soigneusement édulcoré concomitamment à cette désincarnation.

Le Compendium de l’Eglise catholique rappelle pourtant aux hommes de notre temps que «parmi les multiples dispositions qui tendent à rendre concret le style de gratuité et de partage dans la justice inspirée par Dieu, la loi de l’année sabbatique (célébrée tous les sept ans) et de l’année jubilaire (tous les cinquante ans) se distingue comme une orientation importante – bien que jamais pleinement réalisée – pour la vie sociale et économique du peuple d’Israël. En plus du repos des champs, cette loi prescrit la remise des dettes et une libération générale des personnes et des biens». Comme l’obligation de remise de dette, l’obligation de prêt sans intérêt «est qualifiée par la doctrine sociale de l’Eglise de droit du pauvre ». Cette exigence de rendre aux pauvres ce qui leur est dû vaut autant dans l’ordre de la charité personnelle que dans celle des structures socio-économiques.

 

Allô la base des économistes et entrepreneurs catholiques ? Des premiers signes encourageants de reprise peut-être? Bon dimanche !

 

Pendant ce temps là, discrètement et les pieds sur terre, des êtres toujours plus nombreux ont fait le choix de l’exode (ou de la sécession, c’est la même chose), refusant le confort de l’esclavage et d’être réduits à des homo consumens, aussi gavés que déprimés, pour vivre concrètement la liberté de la vie sobre. Les différents portraits proposés dans le livre montrent combien le mouvement pour la simplicité volontaire est une des expressions contemporaines du renouveau de la pauvreté évangélique. A travers ces très beaux récits de vie, on entrevoit des visages vivants et réceptifs, des mains tendues, des corps actifs et des esprits en éveil. C’est bien un irrépressible goût de la vie et de la rencontre, sans nul doute aussi un sens aigu de l’émerveillement, qui suscitent ces conversions à la vie austère, ce mot censuré par les enfumeurs du temps.

Pas de fardeau écrasant, mais un cheminement, une libération progressive, incertaine, une transformation de sa vision et de son rapport au monde, vécus selon le rythme et l’histoire personnelle de chacun, avec évidemment toute sa part de limites et de contradictions. Comme le peuple hébreu au désert, nous marchons tous dans une alternance d’allégresse et de tergiversation, souvent retenus par nos pesanteurs et parfois libérés par la grâce.

Cultiver ses légumes et se réjouir des premières pousses, nourrir ses poules qui nous le rendront bien, échanger des semences et des conseils avec les voisins, se taire, regarder et écouter, prendre le temps de lire les théologiens, les penseurs de la décroissance, un bon vieux Tintin ou une encyclopédie des insectes sous un imperturbable pommier au risque du largage de pommes tous les quarts d’heure environ, chercher à servir plutôt qu’à faire carrière, réapprendre (et avec quel bonheur !) à faire autant que possible les choses par soi-même tout en coupant le cordon avec Leroy Merlin, prendre part à la vie politique, associative ou paroissiale locale et traduire de temps en temps tout cela en mots, car on se désintoxique aussi en retrouvant l’usage de la parole.

Putain de fardeau ! Un vrai caprice de riches comme dirait Pascal Bruckner dans Le Figaro. Une passagère mode de bobos comme diront les derniers tartuffes asphyxiés dans la citadelle des repus. Mais qui les prend encore au sérieux ?

 

La conversion à la vie simple est si intiment liée à la conversion à l’écologie. C’est un même mouvement de retour à la réalité vivante, face à un même ennemi mortel : «un système économique structurellement injuste et dévastateur qui détruit les écosystèmes, mais aussi les communautés et les personnes humaines» ; ce qui conduit Falk Van Gaver à poser la question des alliances nouvelles : «Cathos et écolos, vers l’union sacrée contre le capitalisme mondialisé ? ». 

Ces convergences déjà en germes supposent bien des révolutions culturelles, d’un côté comme de l’autre, un dialogue franc et vif pour lever tant de malentendus et pour en finir avec cette opposition totalement absurde et artificielle, qui voudrait que « l’écologie humaine » soit la propriété exclusive des uns et que « l’écologie environnementale » soit la chasse gardée des autres, que la défense de l’embryon soit labellisée catho et que celle des baleines soit de stricte apanage écolo. A part la fondation Lejeune et EELV, qui veut encore manger de ce vieux pain ?

 

L’encyclique Laudato Si du pape François, bien qu’inédite à certains égards, s’inscrit pourtant dans la pleine continuité des appels de ses prédécesseurs à la conversion écologique des catholiques, avec des accents déjà si vibrants et prophétiques sous Jean-Paul II.

Mais qui connaît ces textes ? Qui les a lus ? Le réveil des catholiques, quoique bien réel, reste timide et nombre d’entre eux, complaisamment polarisés sur la « bioéthique », restent sourds à la parole de l’Eglise dans le domaine économique et écologique, alors que, n’ont cessés de le rappeler les papes, la défense éthique de l’humain est indissociable d’une défense de la nature dans toutes ses dimensions : « Le respect pour l’être humain et le respect pour la nature ne font qu’un » (Benoît XVI). Dans la cadre du capitalisme mondialisé et d’une économie meurtrière dénoncée par François, la chosification, instrumentalisation et marchandisation de la vie se déploie simultanément vers ces deux pôles.

Ils sont nombreux en milieu catholique les experts plus ou moins subtils en confusion intellectuelle, tentant d’étouffer la prise de conscience en cours. L’agronome Stanislas de Larminat en est une des figures les plus caractéristiques. A travers une pensée aussi bâclée que décousue, via des références théologiques des plus bancales, en feignant de voir dans les textes du magistère le reflet de sa propre pensée tout en en saucissonnant à sa guise sélective leur contenu, il invite les chrétiens à serrer les rangs contre « un certain écologisme » (sic), qui constituerait pour eux la périlleuse arrière-cour de tous les syncrétismes et des cultes païens à la terre-mère Gaïa. Quand on ne veut rien entendre, on agite à tout-va de gros vilains épouvantails tous verts et agenouillés face à la déesse Nature.

A travers son cheval de bataille préféré contre les thèses du GIEC sur les causes anthropiques du réchauffement climatique, il témoigne sous sa plume maladroite des derniers soubresauts d’ « un anthropocentrisme très moderne qui a fait florès dans les milieux catholiques après la Seconde Guerre mondiale ».

L’écologie chrétienne n’est pas soluble dans les intérêts du Medef, en particulier pas dans ceux de l’industrie agro-alimentaire. Parce qu’elle est chrétienne, elle est absolument anti-capitaliste : « Un chrétien aujourd’hui, s’il n’est pas révolutionnaire, n’est pas chrétien » (Pape François). 

Les derniers adorateurs catholiques de la Croissance sont ils encore chrétiens ? Allô la base ?

 

Mais, de façon parallèle, s’il existait un pape de l’écologie et de la décroissance, au risque de l’impopularité et des sempiternels procès en « réaction », sans doute aurait-il l’audace de bousculer ses ouailles et de les interpeller à son tour : peut-on, par amour et respect du vivant, être radical dans le combat contre le nucléaire, les OGM,  les grands projets inutiles, le règne du bétonnage et de la bagnole, et soudain, du moins se taire sinon approuver avec enthousiasme, lorsque des lois et projets politiques promeuvent sous le vocable mensonger du « progrès » et de « l’émancipation », l’indifférenciation sexuelle, l’artificialisation de la procréation, la location des ventres ou l’éradication eugéniste du peuple trisomique, qui ne veut pas dire son nom ?

La petite bourgeoisie écologiste de gauche veut rester aussi aveugle aux effets du dit libéralisme moral que la bourgeoisie catholique de droite devant ceux du libéralisme économique. La « schizophrénie » n’est décidemment l’apanage d’aucune chapelle.

Falk souligne que certains écologistes cohérents ont précisément refusé de se taire : «Ainsi, de même qu’il existe des chrétiens cohérents qui voient que les manipulations sur la vie humaine sont inséparables des manipulations sur la nature en général, de même existe-t-il des écologistes cohérents qui voient que le libéralisme économique est inséparable du libéralisme moral, et que les deux procèdent de la même logique d’arraisonnement du vivant ».

Thierry Jaccaud, Hervé Le Meur, Alain Gras, le collectif Pièces et main d’œuvre, Jacques Testart, Vincent Cheynet, parmi d’autres, font partie de ces écologistes qui se sont exposés aux foudres du conformisme, pour rétablir l’écologie dans toute sa profondeur anthropologique.

Bêtise intellectuelle du temps oblige, cette cohérence, la même qui fut celle d’un Charbonneau, d’un Illich ou de tant d’autres écologistes radicaux « historiques », leur a en effet value d’être rangés dans la case infâmante des «décroissants bigots et de droite», instituée par le très pieu commissariat à l’ordre moral libéral. Sans surprise, ses prêtres inquisiteurs détestent le pape François de la même façon et avec la même intensité que les gardiens de l’ordre catholique à papa.

Quand on a besoin de l’épouvantail d’en face pour exister, prospérer et tenter encore de vendre ses bouquins, on se met toujours d’accord sur l’essentiel.

Que serait le progressiste institué, qui en son beau miroir s’admire en incontestable représentant de toutes les causes bonnes et justes sans, face à lui, son catholique intégriste et son réactionnaire de référence ? Que serait le conservateur de service, endossant à merveille son très chic petit costume du dandy « incorrect », et qui sans rire croit vraiment l’être, sans son gauchiste libertaire de prédilection pour éternel repoussoir ? Un de ceux qui ne sont RIEN, sans nul doute.

Qui veut encore jouer à ce jeu de dupes pour pantins branchés ?

 

Pour Falk Van Gaver, l’écologie intégrale (dont il fut il y a une dizaine d’années à l’origine du concept), est une des voies permettant de réarticuler ce qui n’aurait jamais du être dissocié. Il s’inscrit en cela dans l’héritage d’un de ses maîtres et amis, le théologien Jean Bastaire : «C’est une écologie totale qui n’oublie rien ni personne, ni Dieu ni les hommes ni les anges ni les animaux, les plantes et tous les êtres vivants et pas même l’étant inanimé, car la Création tout entière crie dans les douleurs de l’enfantement, gardant l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu ». Si la source de cette écologie est judéo-chrétienne, elle peut rassembler et être discutée bien au-delà de cette sphère, sur un point de départ rassemblant aussi bien des croyants que des non-croyants, celui de l’insurrection.

L’insurrection non-violente est réappropriation pour tous du Shabbat, exigence du repos, réaffirmation par chacun et par tous du refus d’être réduit à un animal laborans, d’être aliéné à la nécessité économique, à l’engrenage sans fin et vers nulle part de l’homo faber. Le Shabbat est une limite posée à toute volonté de puissance, il est par là-même le point de départ, la condition à la fois de la vie sociale juste, de la réconciliation de l’homme avec la nature : «L’interdiction hebdomadaire du travail comporte également celle de faire travailler, aussi bien les humains que les animaux, et implique la cessation de toute exploitation, de l’humanité comme de la nature (…) La révolution sabbatique, profondément égalitaire et écologique dans ses implications, est porteuse de l’espérance messianique du huitième jour de la rédemption universelle».

Il est temps d’agir concrètement contre les puissances de destruction de l’homme et de la nature. C’est le temps de l’«insurrection pascale », selon l’expression de Bastaire. Elle commence chez soi par l’insurrection du mode de vie, dans ce dépouillement auquel tendent aussi bien les traditions religieuses que les tenants de la décroissance. Mais la transformation personnelle, aussi indispensable soit-elle, demeurerait vaine, ne dérangerait personne, aucun système, si elle ne débouchait sur un élan collectif, une irruption vitale universelle, de portée éminemment politique. Les communautés zadistes, qui «opposent aux lieux abstraits du pouvoir une puissance collective ancrée dans un territoire», ont ouvert une brèche, au travers de laquelle personne ne peut encore imaginer la puissance insurrectionnelle qui est susceptible de s’y engouffrer.

«Insurrection de la vie, par la vie et pour la vie » ; non pour la conservation muséographique du monde, mais en vue de son relèvement, de sa résurrection : «Résurrection de nos campagnes, nos montagnes, nos forêts, nos pays, nos terroirs, nos cultures, notre nature sauvage, résurrection des rapports vivants, de relations vivantes à notre environnement, une ré-incarnation de nos existences dans la chair de nos corps, dans la chair du monde. Ce que nous professons, c’est la résurrection de la chair – chair de l’homme, chair du monde ».

 

Le grand bouillonnement insurrectionnel contre l’emprise marchande et technocratique voit se multiplier les expériences de vies communautaires concrètes et territorialisées, autrement dit incarnées, qu’on donne ou non un sens chrétien au terme.

Ce que, nous semble-t-il, Falk ne précise pas ici, on le fait à sa place, c’est que ce « besoin de réenracinnement » est aussi pour de nombreux loups déguisés en agneaux, la formule présentable de leur seule obsession : la restauration d’un entre-soi ethnico-religieux. D’où la grossière farce en vogue chez les cathos identitaires, qui brandissent le grand principe théologique de l’Incarnation pour, sans vergogne aucune, justifier leur soif de revanche d'un occident blanc et « chrétien ». Ben tiens ! Si l’enfer existe il doit ressembler de près à cette sinistre parodie du christianisme.

Le royaume des pauvres de Dieu a un tout autre visage. Non celui des fiers porteurs d’étendard de la chrétienté, la leur rien que la leur, mais de tous ceux qui de façon prophétique s’inspirent du communisme chrétien des premiers apôtres et vivent déjà selon cette devise de Thomas d’Aquin, souvent reprise aujourd’hui par la mouvance anarcho autonome : «dans la nécessité tout les biens sont communs».

 

SL

A lire aussi, cet entretien de FVG sur le site du Comptoir : "Le christianisme est incompatible avec le capitalisme et le système-argent"

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