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 André Gorz

féminisme,

maternité, fonction maternelle, mère porteuse, eugénisme...

 

(Extraits de Métamorphoses du travail; critique de la raison économique, Editions Galilée, 1988)

Un pont lancé entre foi catholique et décroissance, André Gorz

"La fonction sociale de la maternité est sans commune mesure avec son sens vécu. Pour chaque femme, la grossesse librement acceptée ou librement choisie est l'expérience absolument singulière de la vie de sa vie demandant à devenir autre sans cesser d'être elle-même. Une fois née d'elle, cette vie devenue autre demandera encore à être donnée à elle-même. Car c'est cela, élever un enfant :  aider une vie qui, d'abord, participe encore intimement au corps de la mère, à se détacher de lui, à s'emparer d'elle-même, à devenir sujet autonome.

Pas plus que la vie du petit enfant, la relation de la mère à son enfant n'est donc une relation sociale. Etre mère, c'est protéger, choyer, élever non pas un bébé mais celui-ci précisémment qui n'est interchangeable avec aucun autre, non pas seulement parce qu'il est issu de moi mais parce que être sa mère c'est vivre la certitude absolue qu'il est pour lui-même ce centre de référence incomparablement et indiciblement singulier qu'on appelle un sujet. Vouloir qu'un sujet soit lui-même, lui donner le droit d'être soi-même, c'est le propre de la relation d'amour. L'amour maternel en est une des formes.

Mais il est vrai que la maternité est aussi, du point de vue du système social, une "fonction" que la femme doit impérativement remplir pour que la société puisse se perpétuer. Le conflit est donc radical. Le corps de la mère soustrait initialement l'enfant à la prise de la société. Et dans la mesure où l'amour maternel révèle l'enfant à lui-même comme sujet absolument singulier ayant droit à sa singularité, c'est non seulement le corps maternel mais la relation maternelle à l'enfant qui met la survie de la société en danger.

Du point de vue du système social, en effet, la mère détient un pouvoir exorbitant qui dispute à la société son droit sur ses (futurs) citoyens. La société met donc tout en oeuvre pour restreindre et contrôler le pouvoir de la femme sur son enfant, mais aussi pour s'approprier et se soumettre la femme elle-même en l'expropriant de ses droits sur son corps, sur sa vie, sur elle-même. L'oppression de la femme a là sa raison profonde. La "socialisation de la fonction maternelle" ne pourra résoudre le conflit radical, entre la société et la femme que si la première réussit à produire des enfants sans avoir à passer par le corps de la seconde; ou si la femme accepte que sa fonction génitrice soit détachée de sa personne et que la société se serve du ventre des femmes à ses fins à elle, en les payant pour cet usage.

Du rapport de la femme a son corps, à la maternité, à son enfant dépend donc la possibilité ou l'impossibilité d'une régulation monétaire et/ou administrative de la procréation; c'est à dire la possibilité ou l'impossibilité de l'eugénisme commercial et/ou social et politique. La façon de concevoir une rémunération de la fonction maternelle débouche donc sur un fondamental choix de civilisation.

Une allocation sociale spécifique à la mère a une signification fondamentalement différente selon qu'elle est conçue dans l'intérêt de la mère ou dans l'intérêt de la société :

 

- Dans le premier cas, l'allocation consacre le droit souverain de la femme à être mère et à élever son enfant en toute indépendance, sans avoir de comptes à rendre à personne. La question alors n'est pas celle de l'utilité de la mère à la société mais celle de l'utilité de la société à la mère et à son enfant. La maternité est comprise comme une tâche autonome qui pourra aboutir à l'autonomie de l'enfant : la mère peut en faire un sujet souverain; son éducation peut consister à le donner à lui-même.

- Dans le second cas, l'allocation est attribuée à la femme en raison de la fonction socialement utile qu'elle remplit en donnant à la société les enfants dont elle a besoin. La mère est alors rétribuée, honorée, décorée pour l'accomplissement de son devoir de génitrice, assimilé à un travail. (Elle sera aussi citée à l'ordre de la nation comme "mère héroïque" si tous ses enfants sont tués à la guerre.) Ce n'est plus son accomplissement personnel ni l'épanouissement individuel de l'enfant qui comptent mais le service rendu à la patrie.

 

Dans le second cas, la mère perd donc à la fois son droit souverain sur ses enfants et son droit sur elle-même. Elle peut-être déchue de ses droits maternels si elle ne remplit pas les obligations que la société lui prescrit. Elle est socialisée, colonisée jusqu'au tréfonds d'elle-même et reste ce que les sociétés patriarcales ont toujours voulu qu'elle soit : un corps humble dont les sociétés se servent en vue de leurs fins à elles.

Un "salaire maternel" institué au nom de "l'utilité sociale de la fonction maternelle" introduit donc l'idée que la femme peut devenir l'équivalent d'une mère porteuse pour le compte de la société. L'Etat peut louer son ventre pour se faire fournir des enfants. Et dès lors que c'est l'utilité sociale qui compte, la socialisation de la fonction de reproduction peut être poussée très loin. La mère porteuse, en effet, se loue pour faire naître un enfant qui, génétiquement, n'est pas le sien. Si on accepte ce principe, il n'est pas scandaleux d'envisager que ce même service puisse être rendu non plus à des particuliers, mais à l'Etat; autrement dit, que la fonction génitrice puisse être spécialisée et professionnalisée selon des principes d'eugénisme. Des femmes de bonne constitution seront rétribuées pour faire mûrir en elles des embryons fournis par des banques génétiques et donner naissance à des enfants présentant les dispositions génétiques les plus utiles au système.

On retrouve là Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley mais aussi les pratiques du IIIe Reich : la maternité est interdite (par stérilisation) aux femmes dont la progéniture ne serait pas conforme aux normes d'eugénisme; inversemment, la procréation est encouragée dans les "fontaines de vie" (Lebensborne) où de jeunes femmes de type nordique se font engrosser par de jeunes SS afin de fournir au Reich et au Führer les futures élites raciales. Les enfants nés dans ces centres de procréation n'ont jamais connu leurs parents.

Il faut donc choisir au nom de quoi on réclame une allocation sociale spécifique à la mère. Si c'est au nom de l'émancipation de la femme, on ne peut en plus invoquer l'utilité sociale de la fonction maternelle (et vice versa). L'argument de l'utilité sociale, au lieu de donner à la cause féministe un fondement plus solide, ne fait que l'affaiblir inutilement. Le droit de la femme à être (ou ne pas être) mère n'a besoin, en effet, d'aucune justification supplémentaire : il puise sa légitimité dans les droits imprescriptibles de la personne humaine à disposer souverainement d'elle-même. L'allocation d'un revenu social spécifique et suffisant à la mère relève des mêmes principes que la protection sociale inconditionnelle de l'intégrité des personnes, de leur santé, de leur liberté. Leur rentabilité économique ou leur utilité sociale n'ont pas à entrer en ligne de compte."

AG

Réactionnaire ! Essentialiste! Esclave des  vieux carcans moraux judéo-chrétiens ! M'enfin...

Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ?

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