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Extraits de...

 

Extraits Bernard Charbonneau, Le Feu vert

(Editions Parangon/VS, 1980)

 

 

 

On se permettra d'abord ce préambule...

Précurseur de la décroissance, écologiste radical s'il en fut, Bernard Charbonneau, il y a plus de trente ans de cela, mettait le doigt sur cette contradiction majeure d'une large frange du mouvement écologiste, aussi prompte à dénoncer l'exploitation sans limites des ressources naturelles qu'à promouvoir l'affranchissement de toute limite morale sur le plan individuel. 

La protection de la nature et l'élan subversif de l'écologie, s'arrêtent-ils nets aux sacro-saintes frontières du désir individuel tout-puissant?

On connaît la berceuse, qui ne fera plus illusion bien longtemps : lutter contre les ravages du techno-productivisme dans le domaine de l'agriculture, du nucléaire ou des grands projets inutiles, c'est écolo; par contre, lutter contre les processus non moins techno-productivistes de destruction de la famille, de la différence sexuelle ou du foetus humain, c'est réac, c'est de droite, et même un peu facho sur les bords, n'est-ce pas. D'ailleurs, si des cathos intégristes, électeurs du Front National, qui plus est versaillais, s'enchaînent devant les cliniques de l'avortement ou défilent contre la PMA-GPA, c'est bien la preuve incontestable qu'il faut surenchérir en faveur de ces si nobles causes émancipatrices, et ne point se laisser effleurer par le moindre commencement de doute.  

Tant qu'on en sera à poser les enjeux seulement en fonction de l'épouvantail d'en face...

Il y a dans le fond une même tragique inconséquence (inverse et symétrique) chez des bourgeois catholiques qui fustigent des "lois sociétales" dites libertaires tout en préférant s'aveugler au contexte économique libéral de leur dynamique et à leurs soubassements productivistes, que chez des écologistes refusant de voir que la mainmise financière et technique sur le vivant, sur la nature, a une racine utilitariste mortifère fondamentalement commune, qu'elle soit appliquée au vivant humain ou non-humain, sous le couvert redoutablement trompeur de la "liberté" et de l'"émancipation". 

Dans les entrailles de la vie végétale, animale et humaine, avec tous les degrés de différenciations que comportent ces plans, une même fuite en avant vers l'instrumentalisation, la standardisation et la marchandisation est en cours, un même acharnement nihiliste à substituer le produit fabriqué à la vie fécondée, l'artifice reproductible en série à l'irréductible unicité de toute vie. 

Aimer, protéger et accueillir dans l'émerveillement toutes les nuances infinies de la biodiversité environnementale, agricole et humaine, en ce qu'elle est un don prodigieux qui nous dépasse, ou voir en elle, avec le sérieux clownesque des calculatteurs en cols blancs et des opérateurs en blouse blanche, une matière première qui nous est dû, au service d'appétits financiers et de délires techno-scientites. Tel est le choix.

Dans cette perspective, l'autocritique du mouvement écologiste développée ci-dessous par Charbonneau est d'une brûlante actualité. Comme il le dit lui-même, elle n'a pour seul but que de l'aider à surmonter cette impasse, en vue d'une écologie plénière, inséparablement humaine et environnementale. 

 

 

 

Extraits (pages 102-104, "La tentation libertaire") : 

 

 

 

«Le ton du mouvement écologique est surtout donné par une gauche libertaire à laquelle on peut reprocher cette fois d'esquiver les problèmes que la liberté pose à la nature et à la société (...) Tout en protestant contre le pillage de la nature, des ressources, des paysages et des cultures locales existantes, elle réclame la suppression de toute contrainte exercée par la société sur ses membres (...) En ceci le gauchisme écologique commet un contresens lourd de conséquences ; il exige toute la liberté alors que le système industriel à l'Ouest comme à l'Est menace par d'innombrables voies de la nier totalement : il revendique le Meilleur des Mondes alors qu'il s'agit d'éviter le pire.
L'utopie de l'écologiste de gauche est d'ailleurs fort ancienne : c'est le vieux rêve d'une liberté qui serait donnée tout entière à tous (...) L'esprit libertaire est égalitaire : quelles que soient leurs différences qualifiées à tort de vices ou de vertus, tous les hommes ont droit à la même liberté, qui est une et indivisible (...) Dire que les femmes ou même les enfants sont égaux aux adultes masculins et leur reconnaître les mêmes droits revient à dire qu'ils sont pareils en leur prêtant les mêmes vertus. Comme toute gauche, le gauchisme n'échappe pas au reproche de nier les réalités naturelles ou culturelles au nom d'une égalité théorique.
On peut s'étonner de voir la gauche écologique refuser des différences aussi naturelles que celles de l'âge ou du sexe. Ce qui explique sans doute la légereté avec laquelle elle traite le
birth control et les questions que pose l'abolition du vieux "croissez et multipliez". Comme d'autres libertés, on peut la penser nécessaire, elle n'en va pas moins contre le cours de la nature ; il est difficile de qualifier l'avortement et la pilule d'acte ou de produits naturels. Quant à la différence qui oppose et unit l'homme et la femme, il n'en est guère qui soit plus profondément inscrite dans la vie, ne serait-ce qu'au titre de géniteur et de génitrice, osons dire père et mère ; et c'est l'artifice scientifique qui pourra seul l'abolir. En niant la différence - je ne dis pas l'inégalité puisqu'il s'agit d'incomparables – obéit-on à une passion de liberté et d'égalité ou au contraire est-on dupe du développement d'une société qui devient une vaste fabrique d'ersatz standardisés? Si elle efface la différence du yin et du yang (ceci pour plaîre aux zélateurs de la sagesse orientale), qu'en sera-t-il des autres ? Sans compter du sel de la vie.
On peut en dire autant de la libération des tabous sexuels au nom du désir ou de la « révolution libidineuse ». On est ici au cœur de la nature et du mystère de la vie, qui mériterait d'être approché avec plus de prudence, sinon de révérence. La pratique du n'importe quoi n'importe comment au nom du désir, la mise de la pédérastie ou de la pédophilie sur le même plan que l'amour de la femme et de l'homme illustre assez bien la tendance à pousser à la limite la logique de la liberté. Ce qui ne va guère dans le sens de la nature, ni de la plupart des sociétés traditionnelles (...) En ce domaine, comme le montre l'exemple du puritanisme américain, on passe vite du silence hypocrite et de la répression du sexe à une publicité qui met le piment d'Eros dans toutes les sauces commerciales ou même politiques.
Homme et femme, père et mère, amant et amante, parents et enfants. Il semble difficile de nier qu'il s'agit là de différences qui sont d'abord naturelles, le milieu culturel ne faisant qu'en rajouter. On naît homme ou femme, puis selon les nécessités ou les hasards de la vie, on le devient ; la part de la société n'empêche pas celle de la nature. La négation du mariage institutionnel ou de fait, la dénonciation de l'égoïsme à deux au nom d'une relation érotique plus vaste, la revendication de la liberté des enfants contre l'autorité des parents mènent à la condamnation de la famille. Chez les écologistes, elle a lieu en général sans débat, ceux qui ne sont pas d'accord se contentent de se taire. Cette négation qui va de soi dans certaines chapelles risque d'être aussi courte que l'ancienne religion de la famille (...) Et là encore on peut se demander si on ne confond pas la mise en cause du nœud de vipères familial avec sa décomposition par un système politico-industriel qui tend à ramener à lui toute réalité sociale.
 
»    

 

BC

 

 

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