François et la citadelle des Cathotartuffes
"Sommes-nous des chrétiens qui éloignons les autres de Dieu?"
Très récemment, un ami décroissant nous transmettait avec consternation cet éditorial paru dans "Famille chrétienne", intitulé Ecologie : l'Eglise en retard ?
Comment ne pas partager son atterrement à la lecture d'un édito qui fustige des opposants au barrage de Sivens et à l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, "prêts à toutes les extrémités pour sauver la planète" (sic), "refractaires au progrès et idolâtres de la nature" (comme dit l'automate), avant, sans rire, de se cacher quelques lignes plus bas derrière Hildegarde de Bingen et la douceur évangélique de Saint François d'Assise (c'est nous qu'on a inventé l'écologie, pas les écolos, nananère!), puis de conclure, dans un grand écart proprement schizophrénique, que "le mépris de la création est le fruit d'une société déchristianisée"?
...L'auteur ne se demandant surtout pas ici par qui, en tout premier lieu, est méprisée la création et ne se laissant pas une seconde effleurer par l'hypothèse d'une corrélation étroite entre la dite déchristianisation et le délire productiviste qui s'est emparée d'une humanité moderne s'auto-désignant maîtresse de l'univers.
Bah oui quoi, c'est évident : la création est blasphémée par les militants écologistes soucieux de protéger simultanément la vie humaine, le patrimoine agricole et la biodiversité, et bien évidemment pas par les projets déments de Vinci et autres multinationales, qui glorifient l'oeuvre du créateur dans le tonnerre destructeur de la fanfare des bulldozers! Hildegarde aurait adoré...
Sur les intimidations des gros bras de la FNSEA sur ces lieux de lutte, sur les violences et manipulations politico-policières, bien sûr, pas l'ombre d'un mot dans cet édito à papa. Non, "l'extrémiste", c'est l'écolo. A Versailles, ça se vendra toujours bien, aussi bien que les livres de Pascal Bruckner et de Luc Ferry.
Les mêmes qui hurlaient au scandale et à "la dérive totalitaire de l'Etat socialiste" quand les brutalités policières et les manipulations préfectorales visaient les opposants au mariage pour tous, resserrent vite la cravate et mettent le couvercle sur ces mêmes violences lorsque des zadistes à la chevelure abondante en sont la cible.
Les mêmes qui, découvrant les charmes de la mèche rebelle, fustigeaient l'enfermement médiatique dans la case "réac de droite" des opposants à la PMA-GPA, une fois bien repeignés, nous ressortent la bonne vieille ficelle du dangereux gauchiste extrémiste quand il s'agit de discréditer les combats contre les forts lucratifs projets inutiles et mortifères. Là, par contre, on se range au garde à vous : rien à redire sur "la dérive totalitaire de l'Etat socialiste" quand la sacro-sainte compétitivité de nos territoires et de nos entreprises est en jeu. Ben tiens!
Le drame, c'est que des écologistes puissent ainsi croire que ce type d'analyse aux ordres, étiquetée "presse catho", aurait de près ou de loin quelque chose à voir avec une réflexion inspirée par la foi et la pensée catholique, alors que celle-ci s'en trouve caricaturalement bafouée.
Ce genre de contre-témoignage évangélique écoeurant, qui malheureusement foisonne dans les médias prétendument catholiques, constitue un désastre en termes d'évangélisation, vers toutes celles et ceux, si nombreux, qui d'une façon ou d'une autre sont aujourd'hui en recherche de Dieu, crient obscurément vers Lui, sans l'avoir forcément reconnu en leurs vies, et qui tombent si souvent sur des adorateurs de Mammon, déguisés en irréprochables cathos, là où ils seraient sensés entendre la voix des disciples de Jésus, aussi pécheurs soient-ils, et être entendus par eux.
Providentiellement, il se trouve que le même jour et en lien direct avec ce qui précède, une autre amie nous transmettait cette question que nous soumet le pape François : Sommes-nous des chrétiens qui éloignons les autres de Dieu ?
François nomme ce catholicisme bourgeois, mondain et affairiste, confiné dans la citadelle assiégée des très purs auto-proclamés, qui n'ont rien à apprendre de quiconque, surtout pas des écologistes, et qui n'ont pour seule obsession que de préserver l'étanchéité de ce petit club de propriétaires de la foi catholique, vers lequel il n'est autorisé de s'approcher qu'en montrant pattes blanches.
Au sein de ce club de grands vertueux, il devient de plus en plus difficile de masquer sa haine rentrée à l'égard d'un pape qui lave les pieds des prisonniers, qui nous demande de pleurer avec les migrants de Lampedusa, qui nous appelle à sortir de l'entre-soi et à nous tourner vers les périphéries, qui fait souffler l'esprit de pauvreté fransiscaine sur notre Eglise, et qui publie (ciel!) une encyclique sur l'écologie donnant des sueurs froides à la bourgeoisie-catholique. Alors, face à ce pape qui commence à sérieusement déranger et qui lève le voile sur les infidélités de la "fille aînée de l'Eglise", on commence à se lâcher.
Oui, ce "catholicisme" en gants blancs a de quoi faire fuir! Mais il n'est qu'une grotesque parodie de la foi catholique vivante, un voile opaque jeté sur le mystère de l'Eglise, une captation jalouse de ses trésors de vie, promis non à un clan de privilégiés mais à tous.
A quoi servent les "médias catholiques", du moins dans leur très large majorité, sinon à nourrir la bonne conscience morale, politique, sociale et économique de cette citadelle de bien portants aimant tant citer Thomas d'Aquin? Sinon en louant ses vertus, du moins en se gardant bien de l'appeler par son nom, ces médias sont les complices d'un système politico-économique ravageur et inhumain. Derrière de grands airs professoraux, ils distillent la confusion mentale à longueur de pages en ouvrant de bien jolis dossiers "écologie et religion", avant de s'extasier en pages suivantes sur les merveilles de l'innovation technologique à la française ou sur les premiers frémissements d'un retour à la croissance. Dans vingt ans, les mêmes baratineurs continueront de louer les vertus de l'éthique en entreprise et de tomber en pâmoison devant les "décideurs chrétiens".
Par leur hypocrisie, ils répugnent et font fuire des êtres aux portes de la foi. Et nous, on se tait poliment à leur sujet. Pour combien de temps encore?
Serge Lellouche
"Celui qui se dit chrétien et vit comme un mondain, éloigne ceux qui crient à l'aide vers Jésus".
François
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 10, 46b-52)
En ce temps-là,
tandis que Jésus sortait de Jéricho
avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait,
était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth,
il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! »
Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle :
« Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit :
« Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit :
« Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »
L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.
Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. »
Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.