Tragiquement coupé des réalités de la finance, il affirme sans vergogne que la valeur du handicap vaut infiniment plus que la valeur boursière de LVMH et BNP Paribas.
Il coûte une blinde à la société alors que nous devons urgemment moderniser notre arsenal nucléaire pour coller une bonne droite à Poutine.
Il fait grève pour les retraites ou contre les Pial et prend tranquilou des jours enfants malade, dans l'indifférence la plus complète aux besoins du Capital.
Il revendique un statut et un salaire correct, alors qu'il comprend que dalle à l'économie vu qu'il a pas fait Sciences Po ni lu aucun bouquin de Nicolas Bouzou.
Même un bienveillant coach d'entreprise et une formation gratos à la communication non-violente ne suffiraient à le rendre mou comme une chouquette à la crème de marron ou aussi inexplicablement imbécile qu'une député macroniste des Hauts de Seine.
Cela ne peut plus durer.
Que faire de l'AESH ?
Seuls Dieu et Jacques Attali ont la réponse.
Au terme d'une opération commando des plus périlleuses, les redoutables services de renseignement du pôle-ulis Issaurat de Créteil, viennent de se procurer un document explosif et ultraconfidentiel.
Commandité par le ministre pour la modique somme de 798 000 euros, il s'agit d'un rapport de 450 pages du cabinet américain McKinsey, sobrement intitulé "Pour en finir une bonne fois pour toutes avec ces emmerdeurs d'aesh".
Il préconise à l'horizon 2030-2035 le grand remplacement progressif de cette vieillerie d'un autre âge qu'est l'aesh en chair et en os, par l'aesh nouvelle génération :
Entièrement techno-numérique, dynamique et innovant, enfin efficace et économique, programmé pour sourire H24, qu'a même pas besoin de signer le registre quotidien de présence tant ses logiciels et nano-puces sont dignes de confiance.
Dévoué corps et âme, si l'on puit dire, il n'a pas choisi le job pour les mercredis et les vacances scolaires mais bosse évidemment aussi la nuit, les dimanches et jours fériés, et ne fera jamais chier son monde avec des affichettes "Non aux Pial !", "Oui à un statut de fonctionnaire ! ", "McKinsey dégage de l’école !", et autres jérémiades limites complotistes.
Le diagnostic initial du rapport est en effet particulièrement accablant pour l'aesh primitif :
"Les aesh nous gonflent et coûtent beaucoup trop cher à la société.
Une récente étude d'une commission indépendante sollicitée par le MEDEF l'atteste : on ne compte plus les cas de pauses pipi, clope, café ou rigolade, inopportunes et excessivement longues, aux coûts exorbitants, qui distillent le venin de l'improductivité au sein de l'éducation nationale et contribuent dangereusement à élargir le gouffre du budget de l'Etat.
Par temps de crise économique, sanitaire, climatique et énergétique, et face à l'imminente menace nucléaire de ce salopard de Poutine, il est grand temps de faire ce constat lucide et incontestable :
On ne peut plus se permettre de pisser au boulot pour un oui ou pour un non !
L'insouciance des trente glorieuses est définitivement derrière nous.
Les chiffres sont têtus et ne mentent pas. Il en va de la santé de nos finances publiques, de la rigueur budgétaire et de l'unité de la nation, bordel.
Si l'on veut, comme en rêve toute une jeunesse débordante d'idéaux, que Bernard Arnault reste le plus longtemps possible l'homme le plus riche du monde, pour la fierté nationale de tous, serrons-nous tous la ceinture jusqu'à l'os et arrêtons de prendre des vessies pour des lanternes.
Nan mais j'te jure."
Waouuu, ça fait réfléchir. On a peut-être abusé quand même...
Dans la même veine, le rapport tire courageusement la sonnette d'alarme et met en garde nos dirigeants politiques face au comportement on ne peut plus égoïste des aesh qui, tenez-vous bien, se permettent encore en 2023, à l'heuuure de tous les périls, de prendre tranquilou des jours enfant malade, allez hop, tout ça parce que son gosse a à peine 39 de fièvre, ou qu'il s'est pété le bras lors d'une futile promenade familiale en vélo, ou pour un rdv dentaire qui avec trois clous de girofle et un peu de conscience professionnelle pourrait largement attendre les vacances d'été.
Ouais ben, Ludivine et Rachida, fallait pt'être réfléchir deux minutes aux conséquences économiques et sociales, avant de faire des gosses.
J'te l'dis moi. Pffff.
Grave et solennel, le docte rapport poursuit et s'interroge :
"Plutôt que de faire des papouilles au chaud avec leurs gamins, nos aesh pensent-ils alors seulement à l'immense détresse des élèves handicapés, pénalisés et injustement privés d'accompagnants en de si navrantes circonstances ?
Ou à l'indescriptible pagaille scolaire et administrative que leurs absences désinvoltes entraînent en cascade, au mépris de la santé physique et psychique de leurs collègues désemparés ?
Hein ?"
Nan c'est vrai, va falloir, qu'on se remette en question, là.
On est totalement déconnectés de la réalité du Capital.
Ca ne fait plus de doute, il nous faut un coach d'entreprise pour notre Ulis.
Bienveillant et à l'écoute,
tel un onctueux cappuccino ou une chouquette moelleuse comme le sein maternel :
Un vrai expert amadoueur qui nous aidera à engloutir pilules sur pilules et sans douleur.
Un doux suppositoire docilisateur et parfait ramolisseur de toute conscience critique.
A la sortie du tunnel de notre désinvolture irresponsable, reformatés de fond en comble dans la vase de la communication non violente, nous serons enfin disposés à "pleinement s'impliquer et s'investir au travail".
Au terme de ce long cheminement intérieur (yoga et câlinothérapie aidant), nous serons mûrs pour muer en Uber aesh auto-entrepreneurs, scrutant à la loupe les aléas de la demande sur le marché du handicap, dans la zone pavillonnaire de Sucy ou de Marolles.
Quand il n'y aura plus un seul aesh à l'école publique pour leurs gosses, les parents d'enfants autistes et dyslexiques des cités HLM auront alors eux aussi tout loisir de créer leur petite auto-entreprise familiale à vocation médico-éducative.
Remis sur de bons rails de coach, à nous donc la méritocratie républicaine, tous en rang de patates derrière ses uniques commandements : Apprendre à se taire. Traverser la rue en trottinette électrique. Trouver un job. Être le job. Acquérir tous les codes du petit entrepreneur capitaliste, en toute bonne conscience et en petit connard cool, détendu et soumis jusqu'aux tripes. Point.
Tous bienveillants comme une courge !
Serviteurs fidèles et dévoués de l'Eglise capitaliste, nous aesh, voulons tant devenir.
Enfin, l'horizon se dégage. Chouette.
Ne craignant pas de prendre le taureau par les cornes, le rapport McKiki ose dire enfin tout haut ce que tant et tant de français pensent tout bas :
L'aesh se plaint.
L'aesh fait grève.
Prenant en otage parents et élèves, il fricote avec les sectes syndicales.
Il n'est jamais content, comme insensible à la sagesse pleine d'optimisme de Brigitte Croncron, rappelant aux vilains français réfractaires que nous vivons pourtant dans un pays formidable : ses beaux paysages, son irrésistible baguette jambon beurre cornichon, sa démocratie exemplaire, ses médias libres et indépendants, son système de protection sociale que le monde entier nous envie et auquel nous tenons tous tant, pas vrai ?
Comment donc une mère seule avec 800 euros net mensuel et trois gosses sous le bras dont deux handicapés, ou une aide-soignante jetée à la rue comme une vieille éponge pourrie pour refus des saloperies expérimentales de Pfizer et Moderna, se plaindraient-elles, quand on a l'inestimable chance d'être du pays du camembert et du jambon beurre cornichon ?
Depuis les allées fleuries du parc et sous sa belle ombrelle blanche, Marie-Antoinette tonne : ce serait proprement insensé !
Et Bim. Y'en a qu'ont pas peur d'appeler un chat un chat.
Naaan mais c'est vrai, c'est quand même diiiiiingue Gérard, cette mentalité, bien françaiiise, de toujours se plaiiindre.
Tu trouves pas ?
Ben tu vois aux States ou en Chine, et ben les gens eux i bossent, i se plaignent pas, et au final i zont des belles bagnoles et des belles montres qui zont gagné à la sueur de leur front.
Pas plus compliqué que ça.
Pas vrai Gérard ?
Le rapport rappelle en effet combien fut pourtant grande la générosité de l'Etat à l'égard de l'aesh:
"Malgré les gros yeux de Bruxelles, le ministre fait l'effort budgétaire pour l'aesh de passer de 22 à 24h/hebdo + 17 cacahuètes mensuelles + un flacon de gel hydroalcoolique gratos, et lui, jamais content, il en voudrait toujours plus, alors que les boulangeries ferment à cause du coût de l'électricité, et que les comptes publiques sont déjà dans le rouge, du fait, ben oui, des extravagants cadeaux fiscaux aux entreprises du Cac 40 qu'exigent impérativement l'attractivité et la compétitivité de notre économie; ou du fait encore de l'incontournable modernisation de notre arsenal nucléaire, ben oui ben oui, qui nous permettra bientôt de foutre une sacrée branlée apocalyptique à ces barbares de russes et de chintoks, qui menacent notre civilisation et donc notre modèle social.
Et voilà que dans un tel contexte d'urgence économique et militaire, notre aesh lui, tranquille Bill, entre deux passages guillerets et coûteux au pipi-room, il joue aux rebelles et il exige des augmentations de salaire.
Rien que ça !
Nan mais puis quoi encore ?
Une retraite à taux plein dès 55 ans pendant qu'il y est, dans l'indifférence totale aux conséquences sur nos bienfaiteurs milliardaires, durement soumis à des méga taxes qui financeraient les retraites et tant d'autres choses, alors que leurs fortunes n'ont augmenté que de 90% depuis le début de la pandémie de covid, en se goinfrant du travail des autres, en même temps que l’on passait à 7 millions de français désormais dépendants de l'aide alimentaire pour vivre ?
Qui s'indigne dans les médias de la souffrance morale et financière qu'on inflige aux milliardaires en leur demandant de rendre sous forme fiscale l'argent qu'ils volent quotidiennement et en toute tranquillité aux travailleurs ?
Je te le demande Gérard.
Il veut quoi d'autre encore l'aesh ? Des contrats à temps plein puis un statut de fonctionnaire à 2500 net mensuel aussi ?
Mais qui va payer bande de bras cassés ?
Vous voudriez peut-être qu'on renonce à l'incontournable renouvellement de notre gamme de missiles sol air, de mirages et hélicoptères de combat, sans parler de notre projet indispensable et novateur de robots tueurs, qui nous protégera de la menace terroriste ou d'une possible invasion extra-terrestre ?
On va où là ?
On va quand même pas laisser aux gueux le soin de décréter ce qui a de la valeur et ce qui n’en a pas ; ou de décider par eux-mêmes quels financements et quels projets de société sont incontournables et nécessaires au bien commun et quels autres sont inutiles, nuisibles ou irréalistes ; et leur laisser en conséquence la totale souveraineté sur l’organisation, le contenu et les buts de leur travail. Non ?
Ce désordre communiste finirait par ressembler à une authentique démocratie.
Soyons sérieux enfin. Faut des gens comme nous pour ça, diplômés jusqu'au cou, dont c'est l'évidente vocation, qui savent ce qui est bon pour les prolos, et surtout qu'ont fait leurs preuves. On reconnaît l’arbre à ses fruits : voyez donc l'état de notre humanité et de notre planète, asphyxiés sous l'étouffoir de l'angoisse et de la peur permanente, ravagés de fond en comble et précipités au bord du cataclysme nucléaire, par les soins de la seule compétence légitime et indiscutable : la nôtre.
Nan mais merde alors !
Vos vies et votre avenir sont notre jouet. Et vous avez pas intérêt à y toucher, bande d’ignorants. Sinon, ça va barder.
Bref, tout le monde l'aura bien compris, l' aesh est com-plète-ment timbré et ses exigences salariales et statuaires totalement irréalistes !
Comment donc lui expliquer les besoins incontournables d’une dette perpétuelle à rembourser et des innommables goinfreries créancières à satisfaire ?
Beaucoup trop absorbé à satisfaire les besoins concrets de l’élève handicapé, les chemins du cercle de la raison, tracé des demi-divines mains d’Alain Minc, lui seront-ils donc à jamais voies inaccessibles et impénétrables ?
Le ministre le rappelait d'ailleurs récemment : l'aesh a quand même pas fait sciences po.
Comment veux tu comprendre les lois élémentaires de l'économie et de la
géopolitique si t'as pas fait sciences po ?
Comment veux tu prendre au sérieux les agitations syndicales de petits travailleurs de bas étage qui n’ont pas bénéficié de notre prestigieux enseignement de l’arrogance et de nos grandes écoles de l’ignorance ?
Sans nul doute, ils seraient beaucoup plus mesurés dans leurs revendications s'ils avaient la moindre idée du coût des minimas sociaux dus aux actionnaires de TotalEnergies ou aux riches retraités américains de Key Biscayne et de Santa Barbara ou à tout autres grands assistés sociaux.
Et les investissements verts que nous faisons semblant de devoir faire pour sauver la planète ? (et que nous ne ferons jamais, LOL ). Ils s'en foutent ou quoi ?
C'est bien beau de demander monts et merveilles, mais avec quel argent magique on les finance ?
Hein hein mon Gégé, je te le demande à nouveau.
L'aesh est vraiment désespérant.
Il ne comprend décidément rien à rien aux besoins fondamentaux du Capital.
Dont notamment celui-ci : isoler autant que possible le travailleur aesh, comme tous les autres travailleurs.
D'où par exemple l'immense avantage économique et anthropologique des Pial : selon les besoins de remplissage administratif du jour, je t'envoie mon aesh le matin à Vitry pour un remplacement, le lendemain à Choisy pour les oraux du brevet, puis bref retour dans son collège d'origine s'il en a encore un, et hop, direction un lycée à Bonneuil le surlendemain, puis une école maternelle en fin de journée, etc. en mode hamster en roue libre dans sa cage.
Bref, le rêve ensoleillé pour tout gestionnaire rationnel : des travailleurs aesh isolés les uns des autres, privés de toute continuité dans leur travail avec les élèves, de tout lien et enracinement local, dans lesquels se fomentent potentiellement toutes les horreurs gauchistes et anti-économiques de l'entraide, de la solidarité et de l'action collective subversive.
On n'a pourtant pas manqué de pédagogie avec l'aesh : des réunions d'information autour de nos rassurantes coordos Pial, afin de désamorcer les craintes évidemment irrationnelles et injustifiées et d'expliquer à notre concon d'aesh qu'en fait non pas du tout, contrairement à ce qu'on lui a mis dans le choux lors des AG syndicales, les Pial sont une formidable opportunité pour tous, un pas de géant pour l'école inclusive et la reconnaissance du métier d'aesh et un outil non moins formidable pour les élèves, les parents, les profs et surtout pour tous les vendeurs de poudre de perlimpinpin.
Quel enfant gâté !
L'aesh ferait bien de moins moufter et se recentrer sur l'essentiel : la chance qu'il a, lui, d'avoir un emploi, quand tant et tant de français ou de pauvres malgaches aimeraient eux aussi accéder à ce graal.
Pourtant pas compliqué à comprendre les injonctions morales du Capital vis à vis de tout travailleur :
1/ Accepter sans guère d'autre choix un travail qu'un employeur lui offre gracieusement, sur lequel il n'a aucune prise quant à la définition de ses buts et de ses moyens, bien que pour lequel il ait toute la compétence, contrairement à l'employeur. Ça c'est la base. L'ordre immuable des choses.
2/ Accepter sans broncher que ce travail devienne de plus en plus éclaté, insensé, impersonnel, précarisé et donc psychiquement ou physiquement intenable.
3/ Se sentir moralement coupable de n'en plus pouvoir de cette absurdité, de cet écartèlement croissant entre ce qu'il serait judicieux de faire et ce que l'employeur impose de faire, qui nous pousse donc finalement à parfois baisser les bras au travail ou à faire grève ou à se foutre en arrêt maladie, voir dans certains cas tragiques, bien pire encore.
4/ Être sommé de ne pas se plaindre de sa situation, mais tout au contraire de se sentir chanceux d'au moins en avoir un, de boulot qui use mentalement, qui lamine physiquement ou qui tue, quand, répète-t-on à l'envie, d'autres n'ont pas cette chance immense, soyons fous, ce privilège.
Est donc, en bout de boucle, "paresseux" et "désinvolte", le travailleur, tel ce grincheux ronchon d'aesh, qui n'a toujours pas compris cette suite limpide de prescriptions, posées tranquillement par des technocrates et capitalistes, pour qui tout va matériellement très très bien, merci, qui n'ont jamais porté de leur vie au boulot un poids supérieur à 5 kgs, qui ignorent tout de l'humiliation, du mépris frontal ou subtil, voire de la perversion, subis au travail.
***
Bref, qui en douterait encore ? L'aesh est vraiment irrécupérable. C'est plus possible. Faut urgemment passer à autre chose, là !
Sa forme humaine n'est tout simplement plus compatible avec les lois et exigences basiques de l'économie moderne, de la seule économie qui vaille et qui marche (mais enfin, ouvrons les yeux !), la nôtre.
Mettant les pieds dans le plat, sans crainte de casser les codes et de bousculer la bien-pensance, le cacabinet McKiKi nous invite alors au voyage, au rêve et à l'aventure, et nous annonce sans détour l'avènement d'une aube nouvelle et révolutionnaire :
"Tous ensembles, main dans la main, construisons un monde meilleur, plus juste, plus sûr, plus fraternel et moins coûteux. Il est déjà là, sous nos yeux, à la porte de nos désirs les plus fous, sous la forme d'une école définitivement apaisée, fluide et performante, incarnée par l'aesh des temps nouveaux, enfin docile sans battre cil, toujours à l'heure, jamais râleur..."
Mais quelle enivrante verve poétique. C'est juste sublime ! Mon cœur s'envole comme un faucon.
Presqu’aussi simples à gérer que des stocks de paires de chaussettes, disponibles en toutes circonstances pour un remplacement Pial, libérées de tout besoin pipi, du poids économique écrasant de la maternité et guéries de la complainte superflue, affranchies à jamais des fléaux de l'absentéisme et de la revendication salariale, vos nouvelles équipes de cyborgs, robots et drones aesh vous raviront et feront le bonheur des administrateurs du rectorat.
Pas du genre à venir chipoter au bureau des lamentations parce que leurs remboursements Navigo n'ont plus été effectués depuis six mois, ou à se plaindre d'attendre toujours et encore le paiement de la prime REP, promise en fanfare.
Ni homme ni femme, ou les deux à la fois, ou l'un puis l'autre selon le codage du jour, émancipé à jamais des contraintes imprévisibles de la chair et des innombrables tracasseries émotionnelles inhérentes à la différence sexuelle, notre néo-aesh sera pleinement disposé à accomplir le job en toute sérénité et abnégation. Impliqué et investi au travail. Méritant.
Voyez seulement la beauté de ce tableau...
Placés en mode veilleuse en salle des machines post-humaines, nos néo-aesh interviendront dès que nécessaire, après réception d'une simple alerte déclenchée depuis une micro-pupuce neuronale, implantée en chacun des élèves du dispositif Ulis.
Intervention rapide et sécurisée vers la salle de classe, où notre néo-aesh, d'une voix suave et réconfortante, pourra donc instantanément rappeler à l'élève en besoin, la formule du théorème de Pythagore, la liste des pronoms personnels ou bien sûr en cours d'histoire contemporaine, les grands faits d'arme des quinquennats épiques de Croncron le Grand.
Sans broncher, émancipé de tout besoin humain d'ancrage et de lien, il foncera ensuite à l'autre bout du département pour un remplacement cantine de dernière minute, ou pour un express récurage de chiottes dans la maternelle voisine, si besoin.
Notre nouvel aesh n'a pas de temps à perdre, il n'entretient aucun lien avec ses collègues, il se contente de fonctionner parfaitement.
Débordant d'un enthousiasme quasi-religieux, le rapport McKiki de conclure, au sujet de cette prodigieuse avancée :
"La prise en charge du handicap et l'éducation de nos élèves sont une affaire beaucoup trop sérieuse pour être laissée entre les seules mains d'êtres humains.
La généralisation de l'intelligence artificielle dans les moindres recoins de nos établissements scolaires, apportera un surcroît de rentabilité et de rationalité pour une école plus performante, plus compétitive et plus zen.
Elle est une formidable avancée pour notre système éducatif, un précieux levier pour l'école de la République et pour la France de demain.
Le nécessaire et incontournable remplacement de l'aesh à l'ancienne par son successeur post-humain, constituera une expérience pilote, vouée à être généralisée, étapes par étapes.
Tout naturellement, il s'agira par la suite de réduire au strict nécessaire l'ensemble des personnels encore humains dans chaque établissement.
4 ou 5 grand grand maximum.
Qui se tiendront à carreaux.
Pas un pet de travers.
Profs, surveillants, psys, assistantes sociales, administratifs, cantinières et toute autre forme humaine trop coûteuse et imprévisible, sera à son tour remplacée par des formes post-humaines en tout point améliorées.
In fine et en toute logique, il s'agira de procéder au grand remplacement des élèves eux-mêmes, par l'ado high tech, beaucoup moins turbulent et capricieux.
Rêvons ensembles d'interclasses où nous goûterons tous à des couloirs totalement calmes et reposants, des escaliers pleinement sécures, et des cours de récréation sereines et apaisées, sans plus aucun heurt, plus aucun cri, plus aucun rire intempestif, plus aucune bagarre ou éternuements d'un autre âge et vecteurs de virus, et comble de notre joie : plus aucun personnel en grève.
Les promesses du Progrès sont sans limites.
Un aesh et des personnels d'établissement sûrs et pleinement fonctionnels, une école propre et bien surveillée, à l'image de toute une société de zombies obéissants, sous contrôle total, sous fond de comptes publics merveilleusement équilibrés par Bruno Le Maire.
Car tel est notre projet.
Pour la France de demain. Compétitive et conquérante.
Pour toute une jeunesse assoiffée de justice et d'espérance.
Quel esprit avide de sens et de vérité ne rêverait de cette France apaisée, tranquille et sans histoire, où la radicalité politique, l'anarcho-syndicalisme et la subversion journalistique révolutionnaire, n’auraient plus pour seuls visages et derniers représentants, que ceux du PS , de la CFDT et de France 3 Normandie ? "
***
Presque digne d’une tirade présidentielle pré-électorale, dans ses sous étages psycho-linguistiques encore largement obscurs pour la science cognitive, tout jusque-là dans le propos de McKiKi, semblait insubmersible et parfaitement bien huilé.
Jusqu'à ce gros gros hic final, cette soudaine ombre au tableau qui, patatras, semble tout à coup venir tarabuster l'esprit de nos conseillers franco-américains, grassement payés pour tracer les grandes lignes de notre avenir collectif radieux, mais bien obligés d’admettre devant le ministre, la possibilité du sale bug final.
Les dernières lignes du rapport traduisent plus qu'un doute, un effroi sourd et incompréhensible, à se taper la tête contre les murs :
"Face à ces radieuses perspectives de progrès, offertes par nos soins à l’aesh, à l’éducation nationale, à la France et à l’univers entier, une seule et unique crainte, mais de taille, nous titille néanmoins le ciboulot jusqu'à l'atroce migraine, ravivée chaque nuit à trois heures quinze du mat précise, inlassablement depuis des mois, en cet horrible et lancinant cauchemar, qui nous traque et ne nous lâche plus.
Un songe nocturne, des paroles venues d’on ne sait où, revenant impitoyablement à la charge, nous prenant à la gorge sans trop nous demander notre avis.
Ce cauchemar nous montre ce qu’il peut y avoir de plus terrifiant pour nos prérogatives éternelles et notre bel ordre à nous et pour nous : la menace d’une vague immense prenant forme sous nos yeux, qui ne cesse de prendre de l’amplitude, dont l’effroyable tumulte semble irrésistiblement se rapprocher de notre sublime tour de verre et d’acier.
Plus elle se rapproche de nous, plus elle revêt la forme ahurissante d'un puissant sursaut populaire d'humanité, de vie, d'intelligence et de fraternité universelle, avec sur la crête de la dite vague, la vision inouïe de milliers d’aesh, de travailleurs précaires, de chômeurs, et autres loosers non diplômés d’une école de commerce, se dirigeant vers nous à pas accélérés, afin semble-t-il de nous demander un ou deux comptes et, disons les choses telles qu'elles sont, de se débarrasser de nous, à gros coups de pieds au cul.
Et le cauchemar se poursuit toujours, chaque nuit, à la même heure, par cette non moins abominable vision, celle de ronds-points de gilets jaunes embrasés et de riantes manifestations populaires, partout en France, par lesquelles nous est montré cette réalité, pour nous des plus déroutantes : la bienveillance fraternelle est élan de chair ferme et de cœur désintéressé, et non aguichage managérial cotonneux sous condition de retour sur investissement, au service du Projet d’Entreprise.
Va comprendre que la bienveillance ne puisse finalement pas même rapporter un Kopek ou le moindre bénéfice image.
Révélation existentielle tout de même des plus violentes pour qui est passé par les plus grandes écoles de management.
Notre cauchemar est celui d’un irrépressible besoin d'incarnation que plus rien ne stoppera.
Un dévastateur vent d'humour burlesque et corrosif emportant tout sur son passage, jusqu'aux rêves les plus fous que Manu Croncron et Nono Le Maire nourrissent pour notre jeunesse, au nom d'une vie humaine pleinement digne de ce nom :
Passeport santé. Docilité. Emploi. Voiture électrique. Stage en entreprise. Croissance verte. Sephora. Robots. Paris sportifs. Consommation. Nathalie Saint-Cricq. Burger King. Masque FFP2. Cyril Hanouna. Micro-puce sous cutanée pour des achats plus pratiques et plus rapides.
…Et autres rêves du même acabit, pourtant si puissamment mobilisateurs, proposés en vain à toute une jeunesse zadiste ou de banlieue, qui persiste à leur tourner le dos, y compris même rejetés par des pans de plus en plus larges de la jeunesse bourgeoise.
Nous ne vous le cachons pas : tout est en train de partir en vrille monsieur le ministre.
Voilà que nos rêves sont leur cauchemar et notre cauchemar l’antichambre de leur victoire.
Appelons les choses par leur nom : nous n'avons plus que la force policière brute, l'intimidation médiatique permanente et l'alliance tragi-comique de vieux baby-boomers usés comme leurs pieds, et de plus trop jeunes ni plus trop cools startupers à l'esprit "éclairé et ouvert sur le monde", bref tous ceux qui votent le plus et que l'effondrement en cours n'atteint pas encore frontalement, pour piteusement encore soutenir et protéger, notre règne ô combien merdique et dégueulasse.
Leur point commun ? Un bon coup de matraque sur une tronche de gilet jaune, de gréviste paresseux ou d' "anti-vax moyenâgeux", ne les empêchera jamais de dormir.
Contre toute attente donc, ce désastreux souffle de liberté et de grâce, compromettra-t-il notre sublime et novateur projet de mort ?
L’observatoire du complotisme peut-il encore faire quelque chose pour détourner notre jeunesse des faux espoirs qui nous feraient revenir en arrière et la convaincre que notre projet est pour elle non seulement bon, motivant, mais i-né-luc-table ?
Cet atroce cauchemar tente de nous faire comprendre que cette jeunesse rejette ce projet précisément parce que des vieux croûtons et des vieilles miches entre 55 et 115 ans, lui expliquent depuis d'inatteignables hauteurs professorales, que ce projet est bon pour eux et qu’il est inéluctable. Va comprendre.
Mais bordel.
Faut appuyer sur le bouton nucléaire pour leur faire entendre Raison ?
D'extravagantes rumeurs circulent à l’intérieur même de notre cauchemar : il serait prémonitoire.
Comme un grondement de tambours se rapprochant dangereusement et irréversiblement de nous.
D'aucuns prétendent même que notre inexorable chute finale est déjà inscrite en les tréfonds de notre merdouilleuse médiocrité et de notre insondable bêtise.
D'autres encore remettent au goût du jour cette parole de Jésus, « Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers », pour nous foutre la pétoche et nous annoncer notre foudroyante défaite à venir et déjà amorcée, et la victoire définitive des aesh primitifs et autres derniers de la classe qu'ont pas fait sciences po.
Qui prend ses rêves pour des réalités ? Eux ou nous ? Nous allons vite le savoir.
Aussi donc, verra-t-on un jour la député macroniste Claire Guichard, toute morgue ravalée, regardant de très très bas les mères aesh, lui enseignant paisiblement ce qu'est la vie, le courage, la dignité, le don de soi et lui apprenant la subtile délicatesse du geste et du regard, que l'on doit à un élève en fauteuil roulant, qu'on accompagne, déshabille et torche aux toilettes ? Qui s'en laverait les mains ?
Tiens, et si commençait par un stage de réinsertion sociale en Ulis pour vous madame Guichard ?
On a un créneau fin avril, juste dans la foulée du stage de Jean Mimi Blanquer, si ça vous va !? Allô ??
C'est à peine croyable.
Info ou intox ? Vrai ou Faux ?
Qu'en pensent les Décodeurs du journal Le Monde et autres intraitables pédagogues des faits incontestables et des fantasmes conspirationnistes ?
Vite. Ça chauffe. Ça craquelle de partout.
Seule une commission d'experts présidée par Jacques Attali et relayée en live sur LCI, sera en mesure de nous dire avec méthode et précision si toutes ces oniriques rumeurs catho-gaucho sont des Fakes.
D'après nos chiffres et indicateurs, c'est plus que probable."
Dans l'attente taquine du verdict final des grands maîtres de l’incontournable et de l’incontestable, les facétieux services de renseignement du pôle-ulis Issaurat de Créteil, se tiennent prêts, sur la brèche, plus que jamais en alerte.
#AeshEnColèreMilliardairesEnGalère
"Tous ces geux d'aesh et de prolos sont jaloux de ma fortune et de ma réussite. C'est tout.
Une vie aussi triste, mesquine et médiocre qu'une vie de milliardaire, ça se mérite. Et merde.
Groin groin groin vilain lapin."