Champs de coquelicots et cataclysme nucléaire
Déambuler dans la rue, regarder chaque visage humain, écouter chaque chant d'oiseaux, sentir le parfum des premières fleurs printanières, s'émerveiller de tout cela, et se dire que peut être dans six mois, dans un mois ou après-demain soir, sous le feu nucléaire, tout cela sera fini.
Prier pour que ce qui advienne, n'advienne que selon la seule volonté de Dieu.
Puis plus tard dans la journée, entendre la jeune journaliste de cnews, qu'aucune angoisse métaphysique apparemment n'ébranle, demandant presque guillerette au prof de sciences po, si finalement ce ne sont pas nos démocraties occidentales qui sont attaquées à travers cette invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine.
Subir la réponse professorale comme on a subi l'effarante immaturité d'une telle question : face à des régimes qu'en ont, eux, droits dans leurs bottes et torses bombés, comme en Russie, en Chine ou en Turquie, nous autres occidentaux avons pêché par naïveté, par pacifisme, par excès de bons sentiments et de bienveillance. Le problème de l'occident : sa bienveillance. Que cela soit entendu. Prendre enfin modèle sur ces régimes autoritaires. L'avenir leur appartient.
Bref, avoir des couilles. En béton armé. On n'est pas des fiottes.
Qu'enfin, nous occidentaux, mettant un terme à des siècles de bienveillance et des décennies de rêveries bucoliques sous pavillon de l'Otan, arrêtions une bonne fois pour toutes de regarder les papillons et d'admirer les champs de coquelicots. On finirait par saccager la planète.
Que sans complexe, nous retrouvions le sens viril de la guerre, de l'effort, du sacrifice, de la conquête : militaire, économique, technologique, pour faire face, plus forts, plus puissants, à nos ennemis russes et chinois.
Se donner tous les moyens pour être en mesure de les humilier, de les menacer, toujours un
cran au dessus de ce qu'ils risqueraient sinon de faire à notre égard. Et ainsi susciter en eux un raisonnement comparable, face à la menace duquel, il nous faudrait bien à notre tour réagir.
Et fort. Et vite. Et sans faiblesse bien sûr.
Par notre parano-poigne, enfin libres des boulets de la bienveillance, de la tendresse et de la poésie qui ont tant pesé sur l'occident capitaliste d'après-guerre, leur arracher les marchés gaziers, les brevets de nanotechnologies vaccinales, les territoires riches en matières premières, les dernières sources de croissance économique, les dernières gouttes de pétrole sous la banquise, les futures conquêtes spatiales, l'innovante maîtrise technologique des robots tueurs et surveilleurs, le contrôle cognitif des esprits et toutes les alliances militaires indispensables à notre sécurité, à notre prospérité et à notre merveilleux mode de vie oc-ci-den-tal.
...Et à notre civilisation et à notre identité chrétienne aussi, hein, tant qu'on y est.
Puis tout éteindre et rester dans le noir.
Voir en ces deux péroreurs le banal symptôme du désastre humain et en tout premier lieu occidental. Celui du jusqu'au boutisme de l'inconscience, de l'amnésie, de l'inconsistance, de l'insensibilité, de l'orgueil, de l'acharnement au déni, que rien n'arrête, que rien ne vient stopper.
La bêtise définitive, au carré, qui jusqu'en ces heures fatidiques entend "bisounours" et "bons sentiments", si on lui parle de désarmement radical, en nos existences, en nos relations, en nos politiques.
Aucune leçon de l'histoire ne nous a servis. Réelle ou potentielle, chaque catastrophe écologique, sanitaire, technologique, militaire est le prétexte à un gonflement supplémentaire de cet esprit de puissance meurtrier, indéfectiblement allié à cet esprit de bêtise, qui le justifie en le convainquant qu'il sera seul à même de surmonter les catastrophes que sa dynamique mortifère ne cesse d'engendrer.
Jusqu'au bout du bout du bout, donc :
Bander croissance économique. Bander vaccination universelle. Bander capitalisme vert. Bander réindustrialisation de la France. Bander puissance numérique. Bander technopoles. Bander contrôle militaire de la planète. Bander puissance de notre arsenal nucléaire.
En être rassuré quant à notre identité et à notre virilité.
Misère métaphysique des techno-surarmés, spirituellement dévitalisés.
Les vrais faibles va-t-en guerre (toujours pour les autres, eux ils restent à Paris pour accomplir leur mission philosophique décisive de tweeter pour nous, à et au chaud), n'ont d'autre obsession, tant elle est mal assurée, que de constamment se prouver à eux-mêmes leur force. Ils n'en sont que plus dangereux.
Et ne surtout pas voir de folie ailleurs qu'en la figure de Poutine, notamment pas en l'épicentre de nous même. Ce serait faiblesse. Et pour cela se convaincre, mâchoire serrée, que se repentir serait cultiver la haine de soi. Ce serait même céder à l'esprit munichois dirait le risible et irresponsable Enthoven. A fond pas planqué, lui.
Tous mourir en tout-puissants imbéciles plutôt que de reconnaître dans le repentir le chemin d'une libération profonde et d'une rédemption adulte, sous la grâce du divin pardon.
Mais non. En tout, s'armer toujours plus lourdement que l'indispensable ennemi, pour terminer grands et fiers vainqueurs de cette course mimétique vers le néant.
Jusqu'au dernier pas avant le précipice, RIEN a changé en eux.
Méritons nous encore la douceur des champs de coquelicots et la gracieuse compagnie des chats ?
Avons-nous atteint le stade fatal à partir duquel, notre bêtise sans fond et sans fin, ne mérite plus rien d'autre que le feu nucléaire ?
SL